1-1-24. Gösta Mittag-Leffler to H. Poincaré

Stockholm, 5/12 82

Mon cher ami,

Vos tirages à part doivent être dans vos mains maintenant. Ils étaient envoyés de Stockholm le 30 Novembre. Vous me demandez avec raison quel est l’obstacle qui a empêché jusqu’ici la publication du journal. L’obstacle a été l’imprimerie qui m’a fait tout espèce de difficulté. Mais tout ça s’est arrangé maintenant et le premier fascicule du journal sera prêt le Mardi prochain.11 1 Le premier fascicule des Acta mathematica paraîtra le 12 décembre 1882 (Domar 1982).Voir § 1-1-13, note n°13. Le second / fascicule paraitra je pense au commencement de l’année prochaine. Quant à votre mémoire sur les fonctions fuchsiennes il sera mis en œuvre dans une semaine et paraitra si tôt que toutes les épreuves seront en ordre. Pour les autres mémoires que vous veuillez bien me faire l’honneur de m’envoyer ils seront mis en œuvre immédiatement après qu’ils seront dans mes mains. Et on aura besoin d’une semaine à peu près pour chaque feuille.

J’ai reçu aussi le mémoire de Klein.22 2 Klein 1883, citeyearKleF1921a, 630–710. Je n’ai eu le temps que d’y jeter un coup d’œil, mais il me parait qu’il traite d’une manière indigne et vous et M. Fuchs. 33 3 Dans cet article, Klein expose l’essentiel de sa théorie des fonctions automorphes et établit en particulier le théorème d’uniformisation (Grenzkreistheorem) selon lequel toute surface de Riemann de genre supérieur ou égal à 2 peut être représentée d’une manière essentiellement unique par une fonction automorphe sans point de ramification et définie sur un domaine à frontière curviligne. Dans l’introduction, il compare les travaux publiés (c’est à dire les notes aux Comptes Rendus en 1881 et 1882) et l’article publié aux Mathematische Annalen (Poincaré 1882, 1916, 92–105) de Poincaré et les siens : Man kennt die lange Reihe glänzender Publicationen, durch welche neuerdings Hr. H. Poincaré die allgemeine Aufmerksamkeit auf diese Functionen gelenkt hat. Ich meinerseits habe, mit ähnlichen Ideen bereits seit längerer Zeit beschäftigt, die Poincaré’schen Veröffentlichungen durch zwei Noten begleitet, in denen ich bestimmte Theoreme, welche für die Anwendungen der neuen Functionen von hervorragender Wichtigkeit sein dürften, formulirte. [… ] Vielleicht bringen die in Aussicht stehenden ausführlichen Abhandlungen des Hrn. H. Poincaré in dieser Hinsicht bereits die nothwendige Ergänzung. Die geometrische Denkweise bei Hrn. Poincaré, seine Anwendung des Continuitätbegriffes etc. dürften den meinigen sehr nahe stehen. Darüber hinaus aber hat Hr. Poincaré von vornherein das Analytische Bildungsgesetz der neuen Functionen mit Erfolg in Angriff genommen, auch versucht, bei gegebenen algebraischen Irrationalitäten zugehörige eindeutige Functionen mit linearen Transformationen in sich durch convergente Processe wirklich herzustellen. (Klein 1883, 1921a, 631–632) Dans une note, Klein rappelle la genèse des résultats de Poincaré et souligne l’ignorance surprenante dont fait preuve Poincaré en ce qui concerne les travaux de Riemann ; ceci explique selon Klein que l’on trouve dans ses premiers travaux des résultats déjà publiés par lui-même : Merkwürdigerweise hatte Hr. Poincaré, der seinerseits durch gewisse Entwickelungen des Hrn. Fuchs, über die ich mich weiter unten noch zu äussern haben werde, angeregt worden war, bis dahin die gesammte hier vorgenannte Literatur und wohl überhaupt jene specifische Functionentheorie, die von der Betrachtung der Riemann’schen Fläche, nicht gekannt. Es kann daher nicht Wunder nehmen, dass seine ersten Publicationen vielfache Einzelheiten enthalten, welche von unserer Seite bereits publicirt waren. (Klein 1883, 143) A la fin de l’article (1883, 214–215), Klein revient à sa polémique avec Fuchs et réaffirme avec force que Fuchs n’a rien publié sur les fonctions uniformes se reproduisant par substitutions linéaires et possédant un cercle principal et que ses méthodes n’ont rien à voir les siennes : Auch habe ich meine damalige Methode keineswegs, wie Herr Fuchs es auf Grund meiner eigenen Angabe auf pag. 118 des 11ten Annalenbandes zu deduciren sucht, der in Vergleich kommenden Fuchs’schen Arbeit vom Juli 1874 entnommen. Es ist seine Arbeit für mich der Anlass gewesen, um eine Fragestellung aufzugreifen, die mir bis dahin bloss unbestimmt vorschwebte; meine damalige Methode aber ruht durchaus selbständig auf meiner früheren, im Juli 1874 publicirten Bestimmung aller endlichen Gruppen linearer Substitutionen einer Verändlichen. (Klein 1883, 216) Les notes polémiques de Klein ne seront pas reprises lors de publication de ses œuvres complètes. Ses prétentions de vouloir à tout prix partager l’honneur de vos découvertes me paraissent extrêmement ridicules. Mais vous pouvez être tranquille. Vous aurez pour vous tous les géomètres de talent supérieur M. Weierstrass entre autres.

J’ai cherché depuis bien longtemps de trouver si une fonction méromorphe F(x,y) peut toujours se mettre sous la forme

G(x,y)/G1(x,y)

mais sans parvenir à un résultat satisfaisant. Je sais aussi que M. Weierstrass regarde ce problème comme un des plus essentiels et des plus difficiles dans l’analyse. Et vous m’annoncez44 4 La lettre de Poincaré à laquelle Mittag-Leffler répond par la présente est perdue. maintenant que vous êtes sur la voie de trouver la solution. J’espère que vous ne tardez pas de me communiquer le résultat que vous obtenez quand vous aurez un résultat définitif.55 5 Il s’agit de généraliser aux fonctions de deux variables le célèbre théorème de Weierstrass qui affirme qu’une fonction méromorphe définie sur le plan est le quotient de deux fonctions entières. Poincaré obtiendra cette généralisation en utilisant le principe de Dirichlet. Il est particulièrement intéressant de voir Poincaré, qui avouait une année auparavant ignorer ce principe (voir § 1-1-18, notes, le généraliser et s’en servir pour résoudre une conjecture qui avait arrêté les meilleurs analystes de l’époque. Cette étude donnera lieu à deux publications en 1883 : une note aux Comptes rendus du 22 janvier 1883 (1883b, 1950, 144–146) et un mémoire aux Acta mathematica (1883a, 1950, 147–161) La démonstration de ce théorème que donne Poincaré en 1882 ne peut pas se généraliser aux cas d’un nombre quelconque de variables. Cette généralisation sera obtenue par Cousin dans sa thèse rédigée sous la direction de Poincaré (Cousin 1895, voir § 1-1-119, notes).Voir § 1-1-25, § 26 et § 27.

M[adame] Kowalewski peut vous communiquer la démonstration de M. Weierstrass que les fonctions 2n fois périodiques peut s’exprimer comme vous indiquez. Elle connait ces choses mieux que chaque autre. Si votre démonstration est une autre que celle de Weierstrass je vous prie de l’envoyer et je la publierai immédiatement.66 6 La question est de savoir si toute fonction de n variables, 2n fois périodique peut être exprimée comme un quotient de fonctions Θ : Les fonctions Θ de n variables indépendantes permettent, comme on sait, de former des fonctions uniformes de n variables avec 2n systèmes de périodes. Ces périodes ne sont pas arbitraires, car elles satisfont à n(n+1)/2 relations bien connues. Dans une conversation avec M. Hermite, lors de son voyage à Paris, en 1860, Riemann avait affirmé que ces relations devaient nécessairement exister entre les 2n systèmes de périodes de fonction uniforme de n variables, 2n fois périodique, tout au moins après une transformation de degré convenable effectuée sur ces périodes, mais il n’a jamais indiqué la marche qui l’a conduit à cette importante proposition. M. Weierstrass aurait depuis annoncé à quelques-uns de ses élèves qu’il possédait une démonstration du théorème précédent, mais l’illustre géomètre de Berlin n’a jamais à notre connaissance, publié ni indiqué la méthode dont il fait usage. (Poincaré-Picard 1883, 307) Dans une lettre à Kovalevskaia, datée du 14 juin 1882, Weierstrass évoque cette question et explique sa méthode qui est analogue à celle de Picard et Poincaré : In Betreff der von Hermite und Picard an Dich gerichteten Frage will ich Dir für heute Folgendes mittheilen. [… ] Nach einer Bemerkung von Hermite (Note sur le calcul différentiel et le calcul intégral, p. 26) soll Riemann bewiesen haben, dass für jede 2r-fach periodische Function unter den Grössen die angegebenen Relationen stattfinden. In Riemanns Werken findet sich darüber nichts; [… ] Mit Hülfe eines Satzes, den ich in dem genannten Briefe ausgesprochen, kann man schliesslich folgendes beweisen:
Jede 2r-fach periodische Function von r Variabeln lässt sich rational ausdrücken durch andere 2r-fach periodische Functionen derselben Veränderlichen, die so beschaffen sind, daß sie 2r primitive Perioden-Systeme besitzen, für welche die daraus gebildeten Grössen die oben angegeben Eigenschaften haben. [… ] Über diesen Gegenstand habe ich eine kleine Abhandlung fertig, die einer meiner Zuhörer, Herr Molk, ein Franzose, in’s Französische übersetzen wird. (Bölling 1993, 270–272)
Le mémoire annoncé par Weierstrass est considéré comme perdu par Mittag-Leffler : Ce mémoire est également disparu. (Mittag-Leffler 1923, 188) Poincaré, dans l’analyse de ses travaux, reconnaît la similitude de sa démonstration avec celle de Weierstrass parue, en 1903, dans le tome 3 des œuvres de Weierstrass (Werke 3 1894, 53–114) : [… ] Nous reconnûmes qu’il devait y avoir entre les périodes les mêmes relations que dans le cas particulier des fonctions nées de l’inversion des intégrales abéliennes. [… ] La méthode que je viens d’exposer est celle même dont s’était servi M. Weierstrass et qu’il n’avait pas publiée ; c’est ce que nous reconnûmes quand après la mort du savant géomètre, nous reçûmes les bonnes feuilles du troisième volume de ses œuvres complètes. Il n’y avait que quelques différences de détail ; c’est ainsi que j’ai employé un moyen un peu différent pour démontrer un Lemme indispensable, d’après lequel il y a toujours une relation algébrique entre p fonctions à p variables et à 2p périodes. (Poincaré 1921, 82) On peut conclure que Kovalevskaia n’a jamais envoyé à Poincaré les démonstrations de Weierstrass. Après Appell qui avait obtenu une démonstration originale (Appell 1891), Poincaré reviendra sur ce problème et proposera une troisième démonstration du théorème de Weierstrass (Poincaré 1897, 1950, 469–472 et Poincaré 1898, 1950, 162–243) adaptant son travail sur les fonctions de 2 variables (citeyearhp1883am, 1950, 147–161) (voir § 142).

Ma femme est gravement malade. Nous avons craint pour sa vie pendant quinze jours. Aujourd’hui même le docteur m’a déclaré pour la première fois qu’elle est hors de danger. Je n’ai pu travailler sérieusement depuis longtemps et maintenant je suis tout épuisé d’après avoir veillé pendant quatre jours et nuits.

Veuillez bien présenter mes hommages respectueux à Madame Poincaré. Ma femme est trop faible pour que j’ose lui parler de votre lettre.

Excusez moi le longue retard avec votre travail et croyez-moi qu’il sera la dernière fois que je vous faites attendre.

Votre ami très dévoué et très reconnaissant

G. Mittag-Leffler

M. Cantor vient de faire des découvertes extrêmement remarquables qui vous intéresseront spécialement.77 7 Cantor a publié en 1882 la troisième partie de son mémoire Über unendliche lineare Punktmannigfaltigkeiten (1882). D’autre part, les parties 4 et 5 (Cantor 1883a et 1883b) en seront publiées en 1883 dans le tome 21 des Mathematische Annalen mais ont respectivement été écrites en septembre et octobre 1882. Comme Mittag-Leffler était un des rares mathématiciens à soutenir le travail de Cantor, on peut penser que celui-ci lui avait fait part de son travail en cours. Vous les trouverez bientôt dans le journal.88 8 Mittag-Leffler fait sans aucun doute allusion à son projet de publier certains travaux de Cantor dans les Acta mathematica. Néanmoins, à cette date, le projet de traduire en français certains mémoires importants écrits en allemand n’avait pas réellement émergé et la traduction en français des mémoires de Cantor n’était donc pas encore à l’ordre du jour. Voir § 1-1-28, notes.

M. Hermite m’écrit que vous serez maintenant professeur ordinaire à la Sorbonne.99 9 Voir § 1-1-21, notes. Je vous félicite de tout cœur. Cette place vous appartient de droit, il n’y a point de doute.

ALS 4p. Mittag-Leffler Archives, Djursholm.

Time-stamp: "19.03.2015 01:53"

Références

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  • R. Bölling (1993) Briefwechsel zwischen Karl Weierstrass und Sofia Kowalewskaja. Akademie Verlag, Berlin. Cited by: footnote 6.
  • G. Cantor (1882) Über die unendliche, lineare Punktmannigfaltigkeit (3e partie). Mathematische Annalen 20 (1), pp. 113–121. External Links: Link Cited by: footnote 7.
  • G. Cantor (1883a) Über die unendliche, lineare Punktmannigfaltigkeit (4e partie). Mathematische Annalen 21, pp. 51–58. External Links: Link Cited by: footnote 7.
  • G. Cantor (1883b) Über die unendliche, lineare Punktmannigfaltigkeit (5e partie). Mathematische Annalen 21, pp. 545–586. External Links: Link Cited by: footnote 7.
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  • F. Klein (1921b) Gesammelte mathematische Abhandlungen. Springer-Verlag, Berlin. Cited by: F. Klein (1921a).
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  • H. Poincaré (1882) Sur les fonctions uniformes qui se reproduisent par des substitutions linéaires. Mathematische Annalen 19, pp. 553–564. External Links: Link Cited by: footnote 3.
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