1-1-136. Gösta Mittag-Leffler to H. Poincaré
le 13 mars 189711 1 Cette lettre est dactylographiée sur un papier à en-tête : “Professor Mittag-Leffler/Djursholm, Stockholm”. On dispose de plus du brouillon de cette lettre (Brefkoncept 1969).
Mon cher ami,
Bohlin vient d’être nommé avec toutes les voix sauf deux et j’en suis très content. Je crois que c’est un choix excellent. 22 2 Bohlin est nommé professeur d’Astronomie à l’université de Stockholm. Mittag-Leffler donne quelques précisions sur cette nomination dans sa lettre adressée à Hermite le 14 mars 1897 : Le mercredi passé nous avons nommé Bohlin le successeur de Gyldén. Le choix a été fait à presque unanimité – il y avait deux voix contre – malgré les intrigues de M. Retzius, l’adversaire avoué des mathématiques et des mathématiciens et des Acta mathematica tout spécialement. Je pense que le choix de M. Bohlin a été le meilleur qu’on pouvait faire dans les circonstances actuelles. Poincaré m’a envoyé un rapport excellent sur lui. (AS) Je vous remercie vivement de votre excellent rapport qui a surtout mis les mérites réel]le[s de M. Bohlin en évidence. Il y avait d’autres rapports très favorables de Monsieur Backlund à Pulkowa et de M. Duner à Upsala, mais ces messieurs comprenant rien ou presque rien des travaux même]s[ de Bohlin, leur façon de parler était bien trop vague pour une occasion sérieuse.
Maintenant j’ai à vous faire une autre / proposition. N’auriez vous pas l’envie d’écrire pour les Acta une étude sur Weierstrass et sa place dans l’histoire des mathématiques ?33 3 Poincaré écrira un article (Poincaré 1898) consacré à l’analyse des travaux de Weierstrass. Il paraîtra dans le tome 22 des Acta mathematica (voir note 7).
Moi,
comme bien d’autres, nous vous regardons être après la mort
de Weierstrass55
5
Weierstrass est mort le 19 février 1897
à Berlin. le premier analyste maintenant vivant ; il y a tant
de rapport entre votre manière de voir les choses et celle
de Weierstrass et66
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[je trouve que vous êtes en réalité
celui qui a le mieux] rayé dans le brouillon. vous êtes
au fond son premier continuateur. C’est donc clair qu’une étude
faite par vous-même sur votre prédécesseur serait d’un
intérêt peu commun.77
7
Après avoir rappelé et résumé les principaux
résultats de Weierstrass concernant la théorie
générale des fonctions, les fonctions elliptiques et les
fonctions abéliennes, Poincaré, dans ses conclusions, souligne
le souci de rigueur dans l’analyse et la volonté de construire
un édifice logiquement organisé du “simple” vers le “composé” :
En terminant cette rapide analyse, je voudrais pouvoir caractériser
en quelques mots l’esprit qui dans tous leurs travaux a animé
le maître et ses disciples.
C’est d’abord un souci constant d’une parfaite rigueur.
Pour cela, Weierstrass renonce à se servir de l’intuition,
ou du moins ne lui laisse que la part qu’il ne peut lui ôter.
Les notions intuitives sont analysées et réduites en leurs
éléments ; parmi ces éléments, les philosophes en trouveraient
certainement qui conservent le caractère intuitif ; mais ceux-là
sont rejetés hors du domaine des mathématiques pures, qui
peuvent se développer sans eux ; les physiciens seuls auront
à s’en occuper. Ceux qu’on conserve sont analysés à leur
tour et cette analyse est poussée jusqu’à ce qu’on arrive
à l’élément ultime, le nombre entier.
De là à l’égard de la géométrie une certaine méfiance
qui est le caractère propre de l’Ecole de Berlin ; pour ainsi
dire elle ne cherche pas à voir, mais à comprendre.
Tout dérive donc du nombre entier et participe par conséquent
de la certitude de l’arithmétique ; le continu lui-même se
ramène à cette origine et toutes les égalités qui font
l’objet de l’Analyse et où figurent des grandeurs continues
ne sont plus que des symboles, remplaçant une multitude infinie
d’inégalités entre nombres entiers.
Les notions analytiques sont donc pour Weierstrass, comme pour
Kronecker, des constructions faites avec les mêmes matériaux,
les nombres entiers. [… ]
Weierstrass procède donc par construction en partant du nombre
entier ; il marche ainsi toujours du simple au composé. Il
se distingue par cette tendance d’autres analystes qui partent
du général et de l’indéterminé et qui le déterminent
ensuite de plus en plus par des hypothèses restrictives. (Poincaré
1898, 16–17)
Poincaré reviendra sur la distinction entre les analystes,
qui “sont avant tout préoccupés de la logique” et les géomètres
qui “se laissent guider par l’intuition” dans sa conférence Sur
le rôle de l’intuition et de la logique en mathématiques (Poincaré
1902), rédigée à l’occasion du 2e Congrès international
des mathématiciens de Paris (1900); voir
§ 169,
notes.
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Variante: “Je
ne demande pas une biographie mais une étude”.
Qu’est-ce que vous pensez de cette demande, et
seriez vous disposé de me donner une réponse favorable ?
Veuillez me répondre si tôt qu’il vous sera possible.
Je mettrai cette étude dans le tome 21 des Acta qui sera dédié au roi à cause de son jubilé cet automne.
Veuillez nous rappeler ma femme et moi au bon souvenir de Madame Poincaré et agréez vous-même l’expression du dévouement sincère de votre ami fidèle.
Mittag-Leffler
TLS 3p. Mittag-Leffler Archives, Djursholm.
Time-stamp: "19.03.2015 01:53"
Références
- Comptes rendus du IIe Congrès international des mathématiciens. Gauthier-Villars, Paris. External Links: Link Cited by: H. Poincaré (1902).
- L’œuvre mathématique de Weierstraß. Acta mathematica 22, pp. 1–18. External Links: Link Cited by: footnote 3, footnote 7.
- Du rôle de l’intuition et de la logique en mathématiques. See Comptes rendus du IIe Congrès international des mathématiciens, Duporcq, pp. 115–130. External Links: Link Cited by: footnote 7.