3-33-4. H. Poincaré to Anders Lindstedt

Paris 25 Août 1883

Monsieur,

Merci de votre aimable lettre à laquelle je m’empresse de répondre.11 1 Voir Lindstedt à Poincaré, 20.08.1883 (§ 3-33-2). Je ne crois pas vous avoir écrit qu’il y avait des termes séculaires quand λ est multiple de m; et si je l’ai fait c’est par inadvertance; j’ai dit que ces termes se présentent quand m est multiple de λ et j’aurais dû dire de λ2. Voici l’analyse par laquelle j’arrive à ce résultat, analyse que je croyais connue mais qui ne doit pas l’être, puisque vous qui êtes si bien au courant de ces questions, vous ne semblez pas la connaître.22 2 Poincaré va raisonner en étudiant l’espace des solutions de l’équation différentielle alors que Lindstedt analysait le processus de détermination des coefficients par les équations de récurrence. Le raisonnement de Poincaré a certaines analogies avec la théorie de Floquet (1883) sur les équations différentielles à coefficients périodiques. Poincaré reprend le même raisonnement dans ses notes de cours de l’année 1898 (Cahiers 1898, pp. 10–12, reproduction numérisée, Archives Henri Poincaré).

Faisons λ=1 pour plus de commodité. Soient

x=ϕ(t)  y=ψ(t)

deux intégrales de l’équation

d2xdt2+x(n2-2βcost)=0.

Soit

x=ϕ(t+2π)  y=ψ(t+2π)

on aura:

x=αx+βy  y=γx+δy

α, β, γ et δ étant des constantes telles que αδ-βγ=1. α+δ=2cos2mπ est indépendant du choix des deux intégrales x et y; disons en passant que α+δ est développable suivant les puissances de n2 et de β en une série qui est convergente quelles que soient les valeurs de ces variables.

Si (α+δ)2><4; on peut choisir x et y de telle façon que:33 3 Lorsque α+δ4, l’équation fondamentale a deux racines différentes et l’équation admet donc deux intégrales périodiques de seconde espèce (c’est-à-dire des fonctions qui vérifient f(x+2π)=αf(x)) différentes.

x=αx  y=δy
β=γ=0  α=e2imπ  δ=e-2imπ

On en déduit:

x=eimtϕ1(t)  y=e-imtψ1(t)

ϕ1 et ψ1 étant des séries de cosinus et de sinus des multiples de t.

Si donc m est réel, ce que nous supposerons, il n’y a pas de terme séculaire. Mais (α+δ)2 est différent de 4 toutes les fois que m n’est pas un multiple de 12 (ou de λ2 en général). Ainsi il n’y a pas de terme séculaire quand n+m ou n-m est multiple de λ.

Supposons maintenant (α+δ)=±2; dans ce cas on pourra choisir x de telle façon que:

x=±x  y=±y+γx
α=±1  δ=±1  β=0.  m0 ou 12 mod 1.

Mais en général on ne pourra pas choisir y de telle façon que γ soit nul. On déduit de là:

x=eimtϕ1(t)  y=eimt[ψ1(t)+γ2πtϕ1(t)],

ϕ1 et ψ1 admettant la période 2π.

Ainsi dans ce cas il y a une intégrale particulière sans terme séculaire; mais l’intégrale générale en contient à moins que γ ne soit nul.

Supposons qu’on ait trouvé l’intégrale particulière x sans terme séculaire. L’intégrale générale sera:

y=x[adtx2+b]  aetbconstantes d’intégration.

Or 1x2 peut se mettre sous la forme suivante:

1x2=i=1pAicos212(t-ai)+B0+i=1Bicosit+i=1Cisinit

On voit aisément que si B0 n’est pas nul il y a des termes séculaires.

Reste à savoir si dans le cas particulier qui nous occupe B0 et γ s’annulent ou ne s’annulent pas. D’abord remarquons que l’équation différentielle ne change pas quand on change t en -t. Si donc ϕ(t) est une intégrale particulière, ϕ(-t) en sera une autre et par conséquent aussi ϕ(t)+ϕ(-t) et ϕ(t)-ϕ(-t).44 4 Poincaré écrit deux fois ϕ(t)+ϕ(-t). Cela prouve qu’il y a une intégrale partic. paire et une autre impaire. Si γ était nul, toutes les intégrales seraient périodiques et l’une d’elles serait paire, une autre impaire. On aurait donc, en faisant par exemple m=0

(1)x=μicosit  (2)y=νisinit

pour deux intégrales particulières. En substituant on trouve vos relations de récurrence

(n2-1)μ1=β(μ2+μ0)(n2-4)μ2=β(μ3+μ1)(n2-9)μ3=β(μ4+μ2)  De même pour lesν

qui permettent de calculer tous les μ quand on connaît μ0 et μ1 (et de même ν0 et ν1). Or on trouve que, quelle que soit la valeur du rapport initial μ1μ0, μn+1μn tend vers l’ avec n; il n’y a d’exception que pour une seule valeur du rapport initial μ1μ0 et alors

limμn+1μn=0

Or, nous avons

μ0μ1=βn2  ν0ν1=0

Donc les deux séries (1) et (2) ne peuvent pas être toutes deux convergentes, l’une d’entre elles seulement le sera. Donc l’intégrale générale de l’équation proposée admet des termes séculaires.

Le résultat sur lequel je m’appuie et que j’ai souligné à la page précédente est aisé à démontrer par votre méthode.

Je venais d’écrire ces lignes; quand j’ai reçu votre seconde lettre;55 5 Voir Lindstedt à Poincaré, 21.08.1883 (§ 3-33-3). je suis heureux de voir que nous sommes complètement d’accord. Je vous envoie néanmoins la lettre commencée.

Permettez-moi aussi de vous adresser une question au sujet de vos méthodes que, je vous le répète, je regarde comme supérieures à toutes celles qui ont été proposées jusqu’ici, même à celles de M. Gyldén. Comment établissez-vous la convergence des séries auxquelles vous parvenez? C’est là un point que tous les astronomes ont jusqu’ici négligé d’établir d’une manière rigoureuse.

Quand il s’agit d’une équation linéaire dont les coëfficients sont des fonctions périodiques d’un seul argument, cette convergence est évidente.

Mais il n’en est plus de même lorsque l’équation n’est plus linéaire, lorsqu’on a par exemple

d2xdt2=ϕ(t)x+ψ(t)x2

ϕ et ψ étant des fonctions périodiques d’un ou plusieurs arguments.66 6 Dans son article sur la détermination des distances mutuelles dans le problème des trois corps, Lindstedt (1884) reprend le même constat: Comme il est déjà dit, on a obtenu ces résultats en supposant l’existence des intégrales et sans entrer dans la discussion des conditions de convergence. À l’exception du cas où le système est linéaire, la question de convergence semble si difficile, dans l’état actuel de l’Analyse, et notre connaissance des intégrales si imparfaite, que les résultats obtenus ne doivent pas être sans intérêt. (Lindstedt 1884, 86) Il y a là une discussion très délicate que je voudrais vous voir aborder.

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération et du plaisir que j’ai d’être entré en correspondance avec vous.

Poincaré

ALSX 6p. Observatoire de Paris.

Time-stamp: "13.04.2016 22:35"

Références

  • G. Floquet (1883) Sur les équations linéaires à coefficients périodiques. Annales scientifiques de l’École normale supérieure 12, pp. 47–88. Cited by: footnote 2.
  • A. Lindstedt (1884) Sur la détermination des distances mutuelles dans le problème des trois corps. Annales scientifiques de l’École normale supérieure 1, pp. 85–102. Cited by: footnote 6.