Allocution prononcée dans la séance du 16 janvier 1903
[16.01.1903]11 1 Poincaré a prononcé ce discours de fin de mandat présidentiel lors de la réunion de la Société française de physique du 16 janvier 1903.
Messieurs,
En quittant ce fauteuil, je tiens à vous remercier encore une fois de l’honneur que vous m’avez fait en m’y appelant. Grâce à votre bienveillance, grâce au zèle et au dévouement de notre Secrétaire général, ma tâche a été facile autant qu’elle était agréable.
La mort, l’année dernière, avait frappé cruellement dans nos rangs et nous avait enlevé quinze des nôtres ; cette année, elle a été plus clémente et nous n’avons à déplorer que neuf décès. Ce sont ceux de MM. Somzée, ingénieur honoraire des mines à Bruxelles; de Hugon, ingénieur ; du Dr Leroy, médecin major de 1re classe en retraite, chef du service scientifique des ateliers Nachet; de M. Bonavita, professeur au lycée de Bastia; de Trouvé, l’ingénieur constructeur bien connu ; de Bandsept, ingénieur à Bruxelles, du Dr Fricker ; enfin du Dr Hénocque, directeur adjoint au laboratoire de physique biologique au Collège de France, physiologiste et physicien dont vous vous rappelez les intéressantes expériences en ballon. Malheureusement, si la liste est relativement courte, les pertes que nous avons faites sont particulièrement cruelles, et l’une d’elles, celle de M. Cornu, nous a douloureusement frappés, non seulement parce qu’elle était soudaine et inattendue, mais à cause des services que ce savant avait rendus à la Science et à la Société.22 2 Alfred Cornu.
D’autre part, 29 membres ont démissionné ou ont dû être regardés comme démissionnaires. Mais ces pertes ont été largement compensées et nous avons compté cette année 70 admissions nouvelles ; l’année dernière il n’y en avait eu que 51 ; notre nombre s’est donc accru de 22 unités ; c’est une croissance lente mais continue, comme celle d’un corps jeune et sain, et elle prouve que notre société est vivante et prospère. Pour en apprécier la valeur, il ne faut pas oublier que les membres qui nous ont quitté par démission ou radiation étaient évidemment les moins actifs d’entre nous et que leurs remplaçants nous apportent au contraire toute l’ardeur des néophytes.
Au sujet de ces admissions nouvelles, j’ai à vous signaler un élément nouveau ; pour la première fois des dames ont forcé notre porte et nous ne saurions trop nous en féliciter. Les progrès rapides qu’a faits l’instruction féminine rendaient cette innovation inévitable. Je n’ai pas à vous rappeler que l’une de vos nouvelles collègues porte un nom qui nous est doublement cher.33 3 Marie Curie, épouse de Pierre Curie. Poincaré soutiendra en 1903 la candidature de celui-ci pour le prix Nobel de physique (voir sa lettre de nomination, § 2-62-9).
J’ai la satisfaction de constater devant vous de nouveau le bon état de nos finances. Au 1er décembre 1901, nous avions, déduction faite d’un reliquat de mémoire dû à M. Gauthier-Villars, une encaisse nette de 800 francs à peu près. Au 1er décembre 1902, la somme correspondante en diffère de quelques francs seulement. Notre budget semble ainsi voisin de sa position d’équilibre.44 4 Albert Gauthier-Villars, directeur de la maison d’édition du même nom.
Cette situation, nous la devons avant tout au dévouement de notre Trésorier, et je dois remercier également la Commission des comptes, qui, comme les années précédentes, s’est si bien acquittée de sa tâche.
Mais cette année, j’ai d’autres remerciements à adresser ; nous avons reçu de M. Guébhard une nouvelle libéralité, et j’en dirai bien d’avantage à ce sujet si M. Guébhard n’assistait à la séance ; d’autre part, un nouveau donateur nous a envoyé 2000 francs ; je regrette qu’il ait tenu à rester anonyme ; adressons lui toujours, sans le nommer, l’assurance de notre reconnaissance.
L’affectation future de ces dons n’est pas encore définitivement arrêtée ; ce qui est certain, c’est qu’ils serviront, non à donner des prix à ceux qui ont travaillé, mais à aider ceux qui travaillent.
A quelque point de vue que nous nous placions, nous devons nous féliciter de la situation de notre Société, qui entre aujourd’hui dans sa 30e année d’existence, mais c’est surtout notre activité scientifique croissante qui doit nous réjouir.
Nos séances sont plus fréquentes que jamais ; les communications plus nombreuses et plus intéressantes ; notre Exposition de Pâques a eu le plus grand succès.
Mais ce ne sont pas là les seuls services que nous rendons ; nous venons par mille moyens en aide aux travailleurs.
Je ne les énumérerai pas tous, mais permettez moi e vous rappeler une œuvre très utile, qui fait le plus grand honneur à M. Abraham, qui l’a conçue et en a commencé l’exécution.55 5 Henri Abraham (1868–1943) fut directeur du laboratoire de physique à l’École normale supérieure. Je veux parler de notre Recueil d’expériences. Cette publication sera particulièrement précieuse pour les professeurs de nos collèges, au moment où l’Administration universitaire fait de si louables efforts afin de développer les manipulations des élèves ; mais elle ne sera pas sans intérêt, même pour des physiciens de profession. Déjà notre Secrétaire général a reçu de nombreuses communications ; tous les matériaux sont prêts, il se charge de la construction, et, avec cet architecte, nous sommes certains que le bâtiment sera bon. Ainsi tous aurons mis en commun le fruit de leur travail ; c’est bien là une œuvre collective, une œuvre de solidarité scientifique qu’une Société comme la nôtre pouvait seule entreprendre et qui en démontre l’utilité. Remercions donc nos collaborateurs qui ont répondu avec tant d’empressement à notre appel.
Je ne veux pas énumérer toutes les communications qui ont été faites pendant nos séances. Ce défilé de titres serait bien aride, et d’ailleurs, je ne veux pas faire concurrence à M. Donniez, qui rédige si bien les procès-verbaux.
Quelques réflexions pourtant ; et d’abord permettez moi de constater que deux de ces communications sont venues d’Asie ; c’est bien une partie du monde qui veut rattraper le temps perdu. M. Nagaoka nous a donné une étude sur la magnétostriction des aciers au nickel. C’est M. Guillaume qui nous l’a présentée, et il avait bien quelque droit à cet honneur; et puis, à la séance de Pâques, M. Bose nous a fait une intéressante conférence qui devait une saveur toute particulière à je ne sais quel mélange de ce sens profond de la matière, qui distingue les Anglo-Saxons, et du mysticisme métaphysique des Hindous.66 6 Hantaro Nagaoka (1865–1950), professeur de physique à l’université de Tokyo; Ch.-Édouard Guillaume; J.C. Bose (1858–1937), professeur de physique à Presidency College, Calcutta. Le cohéreur de ce dernier a été remarqué par Poincaré dans son rapport sur la thèse de Camille Gutton (§ 2-62-5.
Je remarquerai aussi la place qu’ont prise les études physiques qui intéressent la physiologie, l’optique physiologique, et en particulier la stéréoscopie, la mesure de l’acuité auditive et même l’examen des liquides de l’économie humaine et des cultures bactériennes par la cryoscopie et la résistivité. D’ailleurs, si nous venons en aide aux physiologistes, ceux-ci nous le rendent bien, témoin l’intéressante communication de M. Marey sur les mouvements de l’air étudiés par la photographie.77 7 Étienne-Jules Marey (1830–1904) est professeur d’histoire naturelle des corps organisés au Collège de France, et membre de la section de médicine et chirurgie de l’Académie des sciences de Paris.
Si j’ajoute d’ailleurs que les applications de la physique, de toute espèce, ont donné lieu à de nombreux travaux, et que nous n’avons négligé non plus ni l’optique physique ou géométrique, ni l’électricité, ni les propriétés moléculaires des corps, ni la chimie physique, je vous aurai donné une idée de la variété de nos études.
Avant de renoncer à la parole, permettez moi encore de remercier M. Sandoz de son dévouement à la Société, et il ne me restera plus qu’à céder le fauteuil à M. Gariel.88 8 Albert Sandoz fut préparateur de physique à la Faculté de médecine de Paris (Bulletin des séances de la Société française de physique 1902), où C.-M. Gariel, le successeur de Poincaré à la présidence de la Société, fut professeur de physique médicale.
PTrL. Poincaré 1903.
Time-stamp: " 1.09.2017 22:52"
Références
- Allocution prononcée dans la séance du 16 janvier 1903. Bulletin des séances de la Société française de physique, pp. 5–8. External Links: Link Cited by: Allocution prononcée dans la séance du 16 janvier 1903.