Paul Painlevé to H. Poincaré
Jeudi
Cher Maître et ami,
J’ai remis, il y a trois semaines, au général Piquart un projet de réforme de l’École Polytechnique conforme aux idées que nous avons agitées ensemble et qui agréaient aussi à Mercadier et à Humbert. Si je ne vous ai pas écrit depuis lors, c’est qu’il m’a été impossible de voir le Ministre absorbé par son budget et par des commissions de généraux. Samedi dernier seulement, j’ai enfin trouvé Farge qui m’a trouvé des renseignements sur l’état de la question, et ces renseignements sont tout à fait différents de ce que vous me communiquez. D’après Farge, la commission des Écoles militaires est saisie si l’organisation nouvelle de l’É[cole] P[olytechnique] conformément à la nouvelle loi militaire et il est difficile de se dessaisir tant qu’elle n’aura pas fait connaître son avis et proposé au moins un règlement des difficultés purement militaires. Le Ministre a transmis à la dite commission le projet que je lui ai remis comme un projet officieux pouvant servir de base à la réforme. Il admet, ainsi que son Cabinet, les lignes essentielles de ce projet : l’École Polytechnique ne fournissant plus qu’un très petit nombre d’officiers d’artillerie, la création d’un corps d’ingénieurs militaires (tant pour l’armée que pour la marine) se recrutant ainsi que les ingénieurs civils de l’État à l’É[cole] P[olytechnique]. Tous les élèves sortant de l’É[cole] P[olytechnique] feraient un an à Fontainebleau qui serait leur 2ème année de service militaire. C’est également à Fontainebleau que passeraient, pour un an, tous les élèves sortant de St Cyr du rang qui seraient destinés à l’artillerie.
Il y a une petite difficulté légale à faire compter cette année de Fontainebleau comme 2ème année de service militaire, et c’est vraisemblablement sur des propositions soulevées à ce sujet à la commission qui a donné lieu au bruit dont vous me parlez. Mais je ne pense pas qu’un tel projet ait été retenu, ni surtout qu’il soit admis par le Ministre : en effet, Mercadier avait songé à une combinaison assez semblable à celle qui consistait à faire chaque année 60 “petits chapeaux”, qui seraient sortis au bout d’un an de l’É[cole] P[olytechnique] pour entrer à Fontainebleau et devenir officiers. Or, dès que j’ai touché un mot de cela à Farge, il s’est élevé violemment contre cette combinaison, tenant ferme pour le projet par nous proposé.
Je verrai sûrement le Ministre demain soir. Si je ne puis causer longuement avec lui de la question, je pense qu’il m’accordera du moins un rendez-vous très prochain. Je vous tiendrai au courant immédiatement de tout renseignement nouveau.
Voulez-vous présenter mes respectueux hommages à Madame Poincaré et me croire, cher Maître et ami, votre très cordialement dévoué.
Paul Painlevé
ALS 7p. Collection particulière, Paris.
Last edit: 9.01.2007