1-1-94. Gösta Mittag-Leffler to H. Poincaré
[?/12/89]
Mon cher ami,
Merci bien de votre lettre que je viens de recevoir. Après avoir reçu la lettre que vous me promettez pour demain je prendrai tout de suite les dispositions nécessaires.
J’ai réussi très bien jusqu’ici. Tou]te[s les exemplaires de Danemark et de Norvège sont de retour. Et aujourd’hui j’ai reçu l’exemplaire de M. Walter Dyck.
Il y a seulement l’exemplaire de / Gyldén qui m’inquiète un peu. J’ai voulu aller le prendre moi-même pour être plus sûr mais depuis que je vous écrivais la dernière fois je suis enfermé à cause d’une attaque de la grippe russe avec une fièvre qui a monté jusqu’à 40°. Si tôt que je pourrai sortir je m’occuperai avec Gyldén.
J’ai déjà pris de telles dispositions que nous ne serons pas très pressés pour la publication de votre mémoire. /
Tout le monde a trouvé fort naturel quand j’ai expliqué que
l’exemplaire par méprise avait été distribué à quelques
personnes avant que des changements que l’auteur trouvait indispensables
avaient été faits.11
1
Le 20 décembre, Mittag-Leffler
engage Hermite à faire l’éloge du travail de Poincaré devant
l’Académie des sciences. Il considère que la crise est institutionnellement
résolue:
Mon très cher maitre,
Je crois en réalité que c’est seulement par distraction que
M. Poincaré ne vous a pas donné la note qu’il avait promis
et je vous prie très instamment de vouloir bien lui écrire
un mot pour lui rappeler sa promesse. Il faut absolument que
vous parlez de son mémoire à la séance solennelle de l’Institut.
Sinon tout le monde s’étonnera et on commencera de se demander
la cause de votre silence. Et vous pouvez vraiment louer le mémoire
sans craindre d’exagérer car il restera dans tous les cas un
des premiers chefs-d’œuvres de notre temps.
Il m’est réussi parfaitement de retirer les exemplaires qui
étaient déjà distribués. On a trouvé cela très naturel.
Les seuls qui connaissent toute la vérité sont M. Poincaré,
vous-même, M. Phragmén, Madame Kowalevski et moi et nous
ne raconterons rien avant que le nouveau mémoire sera prêt.
Certainement que la faute est très grave et que c’est bien
plus qu’un simple remaniement qui sera nécessaire. Mais la
science n’en perdra rien. D’abord la leçon sera très utile
à M. Poincaré qui laissera peut-être à l’avenir son habitude
facheuse d’énoncer des résultats dont il ne connaît la
démonstration que d’une manière imparfaite. Et après la
nouvelle racontée par Poincaré lui-même qu’il s’est trompé
fera que tout le monde se jettera sur cette question qui est
peut-être la plus merveilleuse qu’on peut poser pour le moment.
Et après on commencera d’étudier les autres mémoires de
Poincaré d’une manière plus critique qu’on a osé jusqu’ici.
Certainement que je partage votre opinion sur Poincaré et sur
son génie immense mais il a imposé trop sur tout le monde
et ce n’est pas utile qu’un homme qui ne daigne pas être plus
exact que lui occupe une position si grande qu’il a eu jusqu’ici.
Il est jeune encore il se réformera et les sciences mathématiques
y gagneront.
Pour son mémoire du prix, je le [illisible] encore, je
ne crois pas qu’il y a la moindre exagération dans le jugement
général que nous avons donné là-dessus et il me paraît
donc bien nécessaire que vous parlez du mémoire dans ces
termes. (AS)
Hermite prononcera à la séance du 30 décembre 1889
le discours traditionnel de fin d’année. Il le termine en faisant
le panégyrique des deux lauréats du concours du roi de Suède:
L’Académie a reçu, dans sa séance du 25 février, une
Communication qui l’a vivement intéressée et que je dois
rappeler en ce moment. Nous apprenions de M. Mittag-Leffler,
membre de l’Académie des Sciences de Stockholm et rédacteur
en chef des Acta mathematica, que notre Confrère M. Poincaré
avait obtenu le prix institué par S. M. le Roi de Suède et
de Norvège, auquel tous les géomètres de l’Europe étaient
appelés à concourir, pour être décerné à l’occasion
du soixantième anniversaire de sa naissance. Nous étions
aussi informés qu’une seconde récompense, consistant en une
médaille d’or, avec l’inscription: In mi memoriam, était
accordée par le roi à M. Appell, professeur à la Sorbonne.
Le mémoire de M. Poincaré, qui a pour titre: Sur le problème
des trois corps et les équations de la Dynamique, est d’une
importance capitale pour la Mécanique céleste, et ajoutera
encore à l’estime de tous les géomètres que notre Confrère
s’est acquise par de grandes et belles découvertes. Voici tout
d’abord un résultat qui appelle au plus haut point l’attention.
Il a été rigoureusement établi par M. Poincaré que les
séries dont on a fait usage jusqu’ici dans le calcul des perturbations
sont divergentes et ne peuvent être employées pour un temps
illimité. Ces développements présentent en effet le caractère
analytique singulier dont la série de Stirling a donné le
premier exemple, et qu’un travail classique de Cauchy a mis en
pleine lumière. De même que cette série célèbre, les
premiers termes forment une suite convergente dont on tire des
résultats numériques suffisamment exacts dans la pratique,
mais il faut renoncer à s’en servir dans les questions où
le temps doit recevoir de grandes valeurs comme celle de la stabilité
du monde. La confiance donnée à tort aux développements
en série de la Mécanique céleste a été néanmoins
extrêmement utile, on pourrait même dire nécessaire, et
ce n’est pas le seul exemple à citer du rôle bienfaisant
de l’erreur dans les Mathématiques. Mais l’erreur reconnue,
il fallait ouvrir une voie nouvelle dans l’étude du problème
des trois corps, et c’est là que le talent de M. Poincaré
s’est montré avec éclat. En poursuivant des recherches antérieures,
notre Confrère a appliqué à cette question fondamentale
de la Mécanique céleste les méthodes originales et fécondes
qui lui avaient servi à construire les courbes définies par
les équations différentielles. Il parvient ainsi à démontrer
rigoureusement l’existence de deux genres de solutions d’une nature
bien différente. Sous certaines conditions, le mouvement sera
périodique ; dans d’autres cas, les trajectoires des trois corps,
d’abord très peu différentes d’une orbite périodique, s’en
éloignent de plus en plus, et il peut arriver qu’après s’en
être écartées beaucoup elles s’en rapprochent ensuite de
plus en plus. Enfin, sous des conditions qu’il serait trop long
d’énoncer, on peut affirmer que les trois corps repassent une
infinité de fois, aussi près que l’on veut de leurs positions
initiale. Je n’arrêterai pas l’attention plus longtemps sur
ces profondes recherches qui ouvrent les perspectives les plus
étendues à la Mécanique céleste et appelleront longtemps
encore les efforts des géomètres.
Le mémoire de M. Appell, sur les intégrales des fonctions
à multiplicateurs et leurs applications au développement
des fonctions abéliennes en série, est également digne
du plus haut intérêt. M. Appell a ouvert un champ nouveau
dans la théorie des fonctions d’une variable, en donnant l’origine
d’une catégorie de transcendantes, douées de propriétés
extrêmement remarquables, dont il a fait une étude approfondie
et qui sont appelées à jouer un grand rôle. C’est, à
notre époque, un des plus importants résultats de l’Analyse
que ces découvertes de nouvelles fonctions auxquelles s’attachent
les noms illustres d’Abel et de Jacobi, de Göpel, de Rosenhaim,
de Weierstrass et Riemann. M. Appell s’est surtout inspiré de
Riemann ; son beau Mémoire, ceux de M. Poincaré sur les fonctions
fuchsiennes, d’autres travaux français continuent l’œuvre
de ces grands géomètres. (Hermite 1889,
1917, 567–575)
Madame Kowalevski est parti pour Paris ensemble avec ma sœur, Madame Anne-Charlotte Leffler22 2 La sœur de Mittag-Leffler et son premier mari, C. Edgren, avaient obtenu le divorce: Je suis heureux d’apprendre [… ] que vous avez pu obtenir, sans éclat fâcheux, un divorce qui rend possible un second mariage. (Lettre de Hermite à Mittag-Leffler datée du 18 février 1889, Dugac 1985, 164) qui est un auteur connu de romans et des drames.
Mes hommages à Madame Poincaré et les vœux les plus sincères de Madame M. L. et de moi-même pour elle et la petite Yvonne.
Votre ami très dévoué,
M. L.
ADftS 3p. IML 1373, Mittag-Leffler Archives, Djursholm.
Références
- Lettres de Charles Hermite à Gösta Mittag-Leffler (1884–1891). Cahiers du séminaire d’histoire des mathématiques 6, pp. 79–217. External Links: Link Cited by: footnote 2.
- Allocution prononcée par Charles Hermite devant l’Académie des Sciences, lors de la séance du 30 décembre 1889. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 109, pp. 991–999. External Links: Link Cited by: footnote 1.
- Œuvres de Charles Hermite, Volume 4. Gauthier-Villars, Paris. External Links: Link Cited by: footnote 1.