2-62-1. H. Poincaré: Rapport sur la thèse de Carvallo
[Ca. 26.02.1890]11 1 La thèse d’Emmanuel Carvallo (1890b), “Influence du terme de dispersion de Briot sur les lois de double réfraction,” a été soutenue à la Sorbonne le 26.02.1890.
La thèse de M. Carvallo a pour objet l’étude théorique et expérimentale de la dispersion des cristaux et en particulier de la dispersion des rayons caloriques obscurs. Avant d’aborder son sujet principal, l’auteur s’arrête longtemps à une question intéressante qui se rattache à la théorie des erreurs et au calcul des probabilités. Pour réduire les observations antérieures et les siennes en une formule empirique, il avait le choix entre deux méthodes connues depuis longtemps : celle des moindres carrés et celle de Cauchy. Celle de Cauchy présente de grands avantages au point de vue de la facilité des calculs et des vérifications, mais elle a le grave inconvénient de n’être pas conforme au calcul des probabilités. M. Carvallo a modifié la méthode des moindres carrés, non dans ce qu’elle a d’essentiel, mais dans la disposition des calculs, de manière à retrouver les avantages de celle de Cauchy. Les vérifications devenaient ainsi faciles ainsi que diverses simplifications qui rendent les calculs moins pénibles sans altérer sensiblement le résultat. Il montre ensuite que sa méthode est encore applicable, avec quelques changements au cas où les observations ne sont pas de même poids. Passant ensuite à son sujet principal, M. Carvallo cherche à dégager le caractère commun à toutes les théories de la dispersion; il montre qu’elles reposent toutes sur cette proposition qu’il admet lui-même comme un postulat. Les équations du mouvement lumineux peuvent toujours être ramenées à la forme suivante : si , , sont les composantes du déplacement d’une molécule éthérée, les dérivées secondes
sont égales à une fonction linéaire de , , et des dérivées de ces trois quantités par rapport à , et . On a cru longtemps que les termes en , , , connus sous le nom de termes de Briot, n’existaient pas ou pouvaient être négligés; mais l’étude du spectre calorique obscur montre qu’il n’en est pas ainsi; il est impossible de représenter l’indice de réfraction en fonction de la longueur d’onde par une série ne contenant que des puissance négatives de .22 2 A ce propos, voir Carvallo (1890a, 37). Quelles sont les conséquences de ce fait au point de vue de la théorie de la double réfraction ?
Les théories de la double réfraction sont très nombreuses; toutes rendent également bien compte des faits connus jusqu’ici; on peut se demander s’il en sera encore de même quand on tiendra compte de la dispersion des rayons obscurs et du terme de Briot ? Ces théories peuvent se répartir en trois groupes; celle de Fresnel, celles de MM. Sarrau et Boussinesq, celles de Lamé, Neumann et MacCullagh.33 3 Émile Sarrau, Joseph Boussinesq, Gabriel Lamé, Franz Neumann, James MacCullagh. M. Carvallo soumet ces trois groupes de théories à une double discussion, d’abord par la voie géométrique, et ensuite par la voie analytique. Il montre qu’à la condition d’admettre le postulat énoncé plus haut, les trois groupes conduisent à des lois différentes pour la dispersion. Dans les cristaux à un axe, l’indice ordinaire doit être constant, quelque soit la couleur, avec les théories des deux premiers groupes; il devient variable dans les théories du groupe de Neumann. De plus, la loi de l’indice ordinaire n’est plus ni dans la théorie de Sarrau, ni dans celle de Neumann la même que dans celle de Fresnel.
Il restait à vérifier expérimentalement les résultats obtenus; l’auteur a reconnu ainsi que la théorie de Neumann doit être rejetée, et que les lois des deux indices sont bien conformes aux théories de Sarrau et Fresnel. Les expériences ne sont pas assez précises pour décider entre ces deux dernières théories; mais M. Carvallo ne désespère pas de perfectionner assez ses moyens d’observation pour arriver à reconnaître si l’éther est absolument incompressible comme le croyait Fresnel, ou si les vibrations ne sont qu’approximativement transversales, comme le pensent MM. Sarrau et Boussinesq.
La conclusion de l’auteur est que les vibrations de l’éther sont perpendiculaires au plan de polarisation. Quelque réserve qu’il convienne d’observer dans un sujet aussi délicat, il m’est permis de dire que l’argument de M. Carvallo est le plus sérieux de ceux qui ont été invoqués jusqu’ici en faveur de cette hypothèse de Fresnel.44 4 Poincaré a exprimé ses réserves à ce sujet dans ses Leçons sur la théorie mathématique de la lumière (Poincaré 1889, § 242), et en réponse aux expériences d’Otto Wiener en 1890 (voir l’introduction à la correspondance entre Poincaré et Alfred Cornu.
En résumé en dehors d’une grande habileté expérimentale que nous n’avons pas à apprécier ici, M. Carvallo a fait preuve d’une solide instruction mathématique et d’un remarquable esprit critique. Sa thèse est de nature à faire faire un progrès sérieux à deux des parties les plus intéressantes des mathématiques, au calcul des probabilités d’une part, et d’autre part à la physique mathématique.
ADS. AJ/16/5535, Archives nationales. Publiée par Gispert (1991, 344–345).
Time-stamp: " 2.05.2015 22:46"
Références
- Influence du terme de dispersion de Briot sur les lois de la double réfraction. Ph.D. Thesis, Faculté des sciences de Paris, Paris. Cited by: footnote 2.
- Mémoire sur l’optique : Influence du terme de dispersion de Briot sur les lois de la double réfraction. Annales scientifiques de l’École normale supérieure, supplément 7, pp. 3–123. External Links: Link Cited by: footnote 1.
- La France mathématique : la Société mathématique de France (1870–1914). SFHST, Paris. Cited by: 2-62-1. H. Poincaré: Rapport sur la thèse de Carvallo.
- Leçons sur la théorie mathématique de la lumière, Volume 1. Georges Carré, Paris. External Links: Link Cited by: footnote 4.