Charles-Édouard Guye to Nobel Committee for Physics

Genève, le 20 Janvier 190611 1 Le manuscrit porte un cachet de réception : “K. Vetenskapsakademiens, Nobelkomitéer, Inkom den 24.1.1906”. La lettre comporte huit pages, dont quatre concernent la candidature de Gabriel Lippmann, et ne sont pas transcrites ici. Guye a négligé de signer sa lettre, mais s’est identifié par une autre lettre.

Université de Genève, Faculté des Sciences

Au Comité Nobel de Physique de l’Académie Royale des Sciences de Stockholm

Monsieur le Président et Messieurs,

Pour répondre à la demande que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser concernant le prix Nobel de Physique, je me permets de soumettre à votre appréciation les considérations suivantes :

Parmi les physiciens actuels dont l’activité a contribué le plus largement au développement de la physique, je crois bien faire retenir votre attention sur deux noms particulièrement méritants.

D’abord M. Henri Poincaré Membre de l’Institut de France, l’illustre mathématicien dont les ouvrages de physique mathématique ont embrassé un domaine très étendu et ont grandement contribué à établir une corrélation entre les diverses parties de la physique.

Sous ce rapport l’œuvre de M. Poincaré a déterminé un mouvement intellectuel considérable. D’une part en effet, M. Poincaré a commenté et rendu accessible à de nombreux physiciens l’œuvre de Maxwell, et d’autre part son sens critique si pénétrant a permis une analyse comparative très profonde des théories les plus délicates qui en découlent ou qui s’y rattachent (Ampère, Weber, Helmholtz, Hertz, Lorentz, Larmor).

Assurément, c’est à Hertz en premier lieu que revient l’honneur d’avoir par ses recherches théoriques et expérimentales inauguré une ère nouvelle; et s’il eut vécu, il est à présumer que l’Académie Royale de Stockholm le compterait déjà au nombre des lauréats du Prix Nobel. Mais l’œuvre commencée par Hertz et que la mort est venue interrompre, M. Poincaré a eu le très grand mérite d’avoir plus que tout autre physicien peut-être, contribué à la rendre féconde.

En second lieu M. Poincaré a rendu aux sciences expérimentales et à la physique actuelle en particulier, un service d’une autre nature, mais non moins important. C’est lui qui parmi les premiers a insisté d’une façon toute particulière sur la réelle signification des lois expérimentales et leur représentation par les mathématiques. A ce titre, M. Poincaré a exercé et exercera sur les recherches physiques une influence considérable, puisque son œuvre touche non seulement à quelques points spéciaux (problème des trois corps en particulier) mais à la philosophie même de la méthode expérimentale et à la façon dont elle doit être comprise.

Aussi, bien que l’œuvre de M. Poincaré dans ces dernières années soit limitée à un petit nombre de publications, nous pensons que (conformément aux articles 2 et 5 des statuts) la valeur de cette œuvre n’a pris son importance réelle qu’avec son achèvement et nous n’hésitons pas à proposer le nom de M. Poincaré en première ligne.

Principaux ouvrages de M. Poincaré

Ouvrages de physique mathématique

Théorie mathématique de la lumière
Electricité et optique
Thermodynamique
Leçons sur la théorie de l’Elasticité
Théorie des tourbillons
Oscillations électriques.

Notes publiées dans les Comptes Rendus de l’Académie des Sciences de Paris

AL 8p. Nobel Archives of the Royal Swedish Academy of Sciences.

Time-stamp: "12.08.2016 02:18"