H. Poincaré to Edmond Charlier
Paris le 10 mai 190711 1 L’enveloppe indique le destinataire : “Monsieur Charlier Rédacteur Scientifique au Temps”; elle porte en outre le cachet de la poste: “Paris 38, 11-5 07”.
Mon cher Confrère,22 2 Poincaré s’adresse à Edmond Louis Victor Charlier (1850–19??), qui n’est pas son “confrère”, c’est-à-dire, un membre de l’Académie des sciences, mais le rédacteur scientifique du journal Le Temps. Charlier est devenu Chevalier de la Légion d’honneur en 1910 (cote 19800035/244/32471, Archives nationales françaises).
L’Académie se trouve divisée en deux fractions presque égales ; j’accepterais la perspective d’un échec, mais je puis craindre une autre éventualité à mes yeux mille fois plus fâcheuse. Je ne voudrais pas être élu à une faible majorité, de sorte que l’on pût croire que mes confrères des sciences physiques se sont prononcés en majorité contre moi et que je leur suis imposé par les membres des autres sections.33 3 Poincaré se portait candidat au poste de Secrétaire perpétuel pour les sciences physiques de l’Académie des sciences contre Albert de Lapparent. Étant lui-même membre d’une section relevant de la division des sciences mathématiques (ainsi que les sections d’astronomie, physique générale, géographie et navigation, et mécanique), Poincaré ne voulait pas être élu sans la majorité de voix dans la division des sciences physiques, dont il aurait eu la charge. Cette division fut composée depuis 1803 des sections suivantes : chimie, minéralogie, botanique, économie rurale et art vétérinaire, anatomie et zoologie, médecine et chirurgie. Le poste est devenu vacant suite au décès de Marcelin Berthelot, membre de la section de physique générale.
Cela je ne peux m’y exposer, et c’est cela pourtant qui m’apparaît comme l’issue probable du vote.44 4 Poincaré a envoyé la même lettre dactylographiée à plusieurs confrères, dont Gaston Darboux, Henri Becquerel, et Alfred Lacroix, en rajoutant parfois ses commentaires manuscrites. Dans un postscriptum à la lettre envoyée à Darboux le 10 mai 1907, Poincaré explique sa décision ainsi : “Janssen, Chatin, Van Tieghem et Laveran ayant flanché, la partie devenait trop risquée; deux bronchites suffisaient pour nous perdre.” Il s’agit de Jules Janssen (1824–1907), section d’astronomie; Joannès Chatin (1847–1912), section d’anatomie et zoologie; Philippe Van Tieghem (1839–1914), section de botanique; Alphonse Laveran (1845–1922). Van Tieghem fut élu Secrétaire perpétuel pour les sciences physiques le 26.10.1908, en remplacement de H. Becquerel, le successeur d’Albert de Lapparent. Dans ces conditions je renonce à toute candidature. Il me reste à remercier mes amis de l’appui qu’ils m’ont donné et qu’ils m’ont conservé jusqu’au bout.
Votre bien dévoué Confrère,
Voici le texte de ma lettre de désistement.55 5 Le texte de la lettre de Poincaré est dactylographié, jusqu’à la formule de politesse. La suite de la lettre est autographiée. Mon pointage était le suivant.
Poincaré | de Lapparent | |
---|---|---|
Sciences Mathématiques | 19 | 12 |
Sciences Physiques | 16 | 20 |
Total | 35 | 32 |
Je compte tout, même les deux candidats mais en comptant les absences probables il restait 34 à 29.
Cela était insuffisant pour parer aux accidents défections possibles bronchites, etc.
Dans tous les cas je n’aurais pas accepter qu’avec la majorité dans les Sciences Physiques.
Votre bien dévoué,
Poincaré
ALS 2p. MSS 1154, Dibner Library, National Museum of American History.
Time-stamp: " 5.10.2016 00:48"