5-2-4. H. Poincaré to Eugénie Launois

[Janvier 1876]

Muse, narre en ce jour une horrible aventure
Qui de Daubrée attrista les salons.

Peut-être il m’attendait ; quelle déconfiture !

Je ne vins pas ; pourquoi ? Nous le verrons.

Or donc tout était prêt, gibus, habit, chemise,

Pantalons noirs, gants brillants de blancheur.

J’allais me jodoter quand…funeste méprise !

Et mon gilet ? Il est chez mon tailleur.

À quinze jours hélas il nous faut tout remettre.

Fais diligence et tout n’est pas perdu.

Cours chez mon Dusanton ; que ta prochaine lettre

Me dire enfin qu’il va m’être rendu.
(Pas le Dusanton)

Que le coeur éploré de Madame Daubrée

Dans quinze jours n’attende plus en vain

Pour être sûre d’avoir la harde désirée

Je t’enverrai ma lettre dès demain

Mais si de l’an dernier, pour donner sa soirée

Comme toujours Lan suit les errements

C’est samedi prochain que la troupe dorée 

Envahira ses beaux appartements.

Si ses deniers pourtant n’ont pas tous fait naufrage

Dans les procès et les éboulements

Car Fortune, dit-on, ne fit pas beau visage

À Commentry pendant ces derniers temps.

Ceci soit dit surtout afin que tu comprennes

Combien pour toi ce soin est important

Au ciel alors j’irai chanter mille antiennes

Et tout le monde enfin sera content.

Demain je n’irai pas à des heures indues

Chercher notre Barrois dans son Louis le Grand.

Demain Gonzalve ira, le matin par les rues

Le chercher très complaisamment.

Demain, m’avait promis un conscrit fort aimable,

Je te présenterai, quand nous aurons soupé

À ce grand Liouville, illustre autant qu’affable.

Mais le savant est dit-on fort grippé

C’est quelque chose encore qu’il faudra sans nul doute

Comme notre soirée attendre quinze jours

Heureusement, ami lecteur, point ne redoute

D’attendre tout cela toujours

Et là-dessus ; bonsoir ; quels vont être mes rêves ?

Le refus de Medhat Pacha ?

Ou (Mais je crains qu’ici l’épaule tu ne lèves)

Les beaux yeux de Graziella ?

Car depuis que tu m’as parlé de ce costume

Je dis : qu’il sera gracieux

Et je comprends le feu que d’avance il allume

Chez Parqui, l’illustre amoureux.
 

Va-t-il donc à ce bal ? Lui qui devrait se mettre

En acteur de chez Bobino,

Je le vois copiant son amie à la lettre

Dans la peau d’un pifferaro.

—–

Hélas, je n’ai rêvé ni de l’un ni de l’autre.

AL 3p. Collection particulière, Paris. C037.

Last edit: 28.09.2014