2-9-15. René Blondlot to H. Poincaré

Nancy 7 Janvier 1903

Mon Cher ami,

Je vous écris à la hâte pour vous faire part d’expériences que je viens de faire, & qui, je ne puis en douter, prouvent la polarisation des rayons X.11 1 Sans connaître l’origine exacte des processus d’ionisation, Blondlot (1903b, 1903a) s’appuie sur des considérations de symétrie pour supposer que l’intensité de l’étincelle est sensible à l’orientation relative de la direction de son axe par rapport au plan de polarisation. Il vérifie cette hypothèse en utilisant de la lumière ultra-violette. Au lieu de chercher, comme on l’a fait en vain, à polariser les rayons X émis par un tube, je me suis demandé s’ils ne seraient pas déjà tout polarisés à leur émission.

Le genre de symétrie de l’appareil qui les produit permet cette conjecture, car si nous considérons un rayon X et le rayon cathodique qui lui donne naissance, ces deux rayons déterminent un plan. Dès lors, aucune raison géométrique n’empêche de se demander si le rayon X ne serait pas polarisé parallèlement ou normalement à ce plan.

Mais, en supposant cette polarisation, comment la reconnaître ? De quel analyseur se servir ?

J’ai songé à l’action renforçante des rayons sur une petite étincelle. L’étincelle est à elle-même un axe de symétrie et les directions normales à celle-là peuvent avoir des propriétés différentes de celles de l’axe.22 2 Ascoli (1904) signale que Blondlot a été fortement influencé par les travaux de Pierre Curie sur les effets liés aux symétries. Il cite ainsi un des principes de Curie : “Lorsque certains effets révèlent une certaine dissymétrie, cette dissymétrie doit se retrouver dans les causes qui leur ont donné naissance” (P. Curie 1894).

D’après cela, l’étincelle ne pourrait-elle être plus ou moins renforcée suivant qu’elle serait parallèle ou normale au plan mené par le rayon X et le rayon cathodique ? C’est ce que j’ai essayé : j’ai soumis une petite étincelle à l’action d’un tube focus en disposant la longueur de l’étincelle tantôt parallèlement à la longueur du tube et tantôt normalement à cette longueur. Dans le cas où l’étincelle est parallèle, il y a action, car si l’on interpose une lame de verre, l’étincelle diminue d’éclat. Le phénomène est d’une netteté absolue, absolument constant et facile à observer.

Si au contraire l’étincelle est normale, l’action est absolument nulle, et le verre ne change rien.

J’ai encore fait l’expérience suivante, qui est une variante : le petit excitateur où jailli l’étincelle est monté sur une sorte de bonnette qui permet de le faire passer instantanément de la position parallèle à la position normale : on voit alors l’étincelle diminuer d’éclat quand on tourne l’excitateur de la première position à la seconde et inversement. L’expérience est absolument frappante, même pour les laïcs. (Le phénomène ne change pas quand on fait tourner le tube autour de la longueur, jusqu’à ce que l’anticathode se présente par sa tranche, ce qui montre que l’orientation de cette anticathode n’est pour rien dans le phénomène, & que le plan qui le détermine est bien celui du rayon X et du rayon cathodique.)

Pour produire la petite étincelle, j’emploie simplement l’influence électrostatique obtenue par le dispositif ci-contre. L’étincelle est à environ 21 centimètres du tube, et je me suis assuré qu’il n’y a pas d’influence directe sensible sur elle.

Autre chose : Je me suis demandé alors si en prenant de la lumière ultraviolette polarisée, son action sur l’étincelle ne dépendrait pas de la position de son plan de polarisation par rapport à la longueur de l’étincelle. J’ai alors remplacé le tube par un excitateur à boules d’aluminium, en interposant un Foucault entre cette source et l’étincelle.33 3 Le Foucault est un dispositif optique constitué de deux prismes accolés. Ils sont taillés dans un cristal uniaxe et disposés de telle façon que le rayon “ordinaire” est réfléchi et le rayon “extraordinaire” est transmis par la paroi de séparation (qui est dans ce cas une couche d’air). J’ai constaté, avec une netteté absolue qu’il y a renforcement de l’étincelle par la lumière quand la section principale du Foucault est parallèle à l’étincelle réceptrice, et aucun effet quand la section principale est normale à cette étincelle : dans le premier cas, l’interposition d’un verre diminue l’éclat, dans le second cas, elle est sans effet. Ainsi, la petite étincelle est un réactif pour les vibrations polarisées. Il me semble que, d’après cela, il ne peut rester de doute sur la nature des rayons X.

Il me semble aussi que cela jette un jour sur la célèbre question : la vibration de la lumière polarisée est-elle parallèle ou normale au plan de polarisation ?

En effet, le mouvement sur le rayon X, provenant du mouvement longitudinal du rayon cathodique générateur, ne peut être que dans le plan de ces deux rayons.

Or l’action sur l’étincelle montre que ce plan doit être assimilé à la section principale du Foucault. Dans le Foucault, c’est le rayon extraordinaire qui passe, et, d’après Fresnel, il vibre dans la section principale. Donc l’hypothèse de Fresnel est d’accord avec l’observation.

Je vous prie, mon cher ami, de vouloir bien examiner tout ceci et de me dire ce que vous en pensez.

Fidèlement à vous,

R. Blondlot

ALS 8p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: "25.05.2017 12:25"

Références

  • M. Ascoli (1904) Une nouvelle espèce de radiations : les rayons N. Revue générale des sciences pures et appliquées 15, pp. 226–242. External Links: Link Cited by: footnote 2.
  • R. Blondlot (1903a) Action d’un faisceau polarisé de radiations très réfrangibles sur de très petites étincelles électriques. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 136, pp. 487–489. External Links: Link Cited by: footnote 1.
  • R. Blondlot (1903b) Sur la polarisation des rayons X. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 136, pp. 284–286. External Links: Link Cited by: footnote 1.
  • P. Curie (1894) Sur la symétrie dans les phénomènes physiques, symétrie d’un champ électrique et d’un champ magnétique. Journal de physique théorique et appliquée 3, pp. 393–415. External Links: Link Cited by: footnote 2.