2-48-18. Alfred Potier to H. Poincaré

2 Décembre 1904

Mon cher Confrère,

Je lis dans la Revue Rose que vous attribuez votre impuissance à saisir les variations de l’éclat des sulfures à ce que vous ne pouvez pas ne pas accommoder.11 1 Pour voir les variations d’éclat d’une étincelle dues au rayons N, Blondlot a écrit à Poincaré, “Il importe de ne faire aucun effort d’accommodation, ni de fixation, de regarder d’un œil distrait et sans accommoder aucunement si on le peut, (comme les peintres impressionnistes), et même de tenir la tête dans un léger mouvement continuel et irrégulier” (§ 2-9-21). Dans la Revue rose, Poincaré (1904) soutien son ami Blondlot en affirmant sa “croyance aveugle” dans l’existence des rayons N. Mais vous ne précisez pas dans quel sens vous employez ce mot; ordinairement on appelle accommodation un changement dans la courbure des faces du cristallin qui permet à l’œil de voir nettement les points situés à des distances différentes, et même on évalue numériquement cette puissance d’accommodation en prenant la différence des inverses des distances extrêmes entre lesquelles l’œil peut voir avec netteté; c’est une faculté qui disparaît rapidement avec l’âge et je ne saurais trop vous féliciter de l’avoir conservée, mais, qu’on soit ou non resté jeune, une goutte d’atropine dans l’œil suffit à abolir cette faculté assez longtemps pour que l’on puisse mesurer les courbures du cristallin devenues invariables. Or je ne peux pas voir de relation entre cette accommodation et la visibilité des écrans au sulfure. Au contraire je vois un lien très étroit entre tout ce que l’on raconte* et la disposition anatomique bien connue de la rétine, en vertu de laquelle un objet est vu avec le maximum de netteté quand son image se projette sur la tache centrale en même temps qu’il paraît moins lumineux dans cette position que lorsque son image se projette en dehors de la tache. De sorte que, quand l’objet est peu éclairé, et qu’on veut se rendre compte exactement de sa forme, l’œil commence par le fixer et projeter, suivant son habitude, l’image sur la tache centrale : mais alors cette image perd son éclat, l’objet semble disparaître et l’œil se déplace de manière que l’image venant se produire à côté de la tache, le corps redevienne visible, mais sans netteté. Aussi l’exercice qui consiste à vouloir voir les détails d’un objet très peu éclairé est-il des plus fatigants.

Voilà pour moi le phénomène le plus gênant, et il faut une très grande habitude pour arriver à maintenir l’œil fixe dans ces conditions; ajoutez à cela la suggestion et vous voyez que la question n’est pas simple.22 2 O. Lummer (1904) suggère que certains résultats de Blondlot viennent du “sommeil hypnotique” qui s’ensuit lorsqu’on fixe des yeux un petit objet lumineux. Le pouvoir de suggestion est une explication que H. Piéron (1907) mettra en avant dans son étude de l’épisode des rayons N.

Serait-ce à ce dernier phénomène que vous auriez appliqué le mot d’accommodation ? Cela ne me semblerait pas conforme à votre précision habituelle.33 3 Voir la citation de Poincaré, note 1.

Votre bien dévoué,

A. Potier

* « c’est comme un voile qui se déchire »44 4 La citation rappelle la conclusion d’un article de presse repris dans le premier numéro du journal Le Radium (Valfori 1904).

ALS 4p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: "19.03.2015 01:56"

Références

  • O. Lummer (1904) Beitrag zur Klärung der neuesten Versuche von R. Blondlot über die n-Strahlen. Berichte der Deutschen physikalischen Gesellschaft 5, pp. 416–422. Cited by: footnote 2.
  • H. Piéron (1907) Grandeur et décadence des rayons N. Année psychologique 13, pp. 143–169. External Links: Link Cited by: footnote 2.
  • H. Poincaré (1904) Les rayons N existent-ils ? Opinion de M. Poincaré. Revue scientifique 2, pp. 682. External Links: Link Cited by: footnote 1.
  • R. d. Valfori (1904) Effluves humains. Radium 1 (1), pp. 14–15. Cited by: footnote 4.