1-1-90. Gösta Mittag-Leffler to H. Poincaré

[1/12/1889]11 1 Date du cachet de la poste de Paris. Paris-1er décembre — Stockholm-4 décembre.

Mon cher ami,

J’ai écrit à M. Phragmén pour lui parler d’une erreur que j’avais commise et il vous a sans doute communiqué ma lettre.22 2 Cette lettre semble perdue. Mais les conséquences de cette erreur sont plus graves que je ne l’avais cru d’abord. Il n’est pas vrai que les surfaces asymptotiques soient fermées, au moins dans le sens où je l’entendais d’abord. Ce qui est vrai, c’est que si je considère les deux parties de cette surface (que je croyais hier encore raccordées l’une à l’autre), [elles] se coupent suivant une infinité de courbes trajectoires asymptotiques *.

J’avais cru que toutes ces courbes asymptotiques après s’être éloignées d’une courbe fermée représentant une solution périodique, se rapprochaient ensuite asymptotiquement de la même courbe fermée.33 3 Poincaré étudie les systèmes dynamiques en considérant les points d’intersection des trajectoires avec une section S, transverse au flot. Ainsi, une solution périodique sera représentée par un ou un nombre fini de points. Poincaré définit alors la notion de courbe invariante: Cela posé, j’appellerai courbe invariante du ne ordre, toute courbe tracée sur S et qui coïncidera avec sa ne conséquente.
A toute courbe invariante fermée correspondra une surface trajectoire fermée. (Poincaré, première impression du mémoire, IML, p. 37)
Comme Poincaré a réduit le problème de stabilité à la recherche des surfaces trajectoires fermées, “l’étude de la stabilité se ramène à la recherche des courbes invariantes fermées” (Première impression du mémoire, IML, p. 38). Il définit alors la notion de courbes quasi-fermées. Pour cela, il considère que le potentiel dépend d’un paramètre μ (Ainsi, dans le problème restreint des trois corps qui intéresse principalement Poincaré, les deux premiers corps ont respectivement une masse égale à 1-μ et μ, le troisième corps étant sans masse. Le potentiel newtonien dépend alors du paramètre μ). Dans ce cas, il est normal de développer les solutions “selon les puissances croissantes de μ”. Nous dirons alors qu’une fonction quelconque de x1, x2, x3 et μ est une quantité très petite du ne ordre quand elle pourra se développer suivant les puissances de μ et que le développement commencera par un terme en μn. (Première impression du mémoire, IML, p. 38) Poincaré définit alors une courbe quasi-fermée comme une courbe C, invariante du ne ordre, telle qu’“on puisse trouver sur C deux points A et B séparés par un arc fini de la courbe C et dont la distance soit une quantité très petite du pe ordre” (Première impression du mémoire, IML, p. 38). Il obtient alors un résultat de fermeture des courbes quasi-fermées: Si on a démontré qu’une courbe invariante C est quasi-fermée de telle sorte que la distance des points de fermeture A et B est une quantité très petite du ne ordre au moins, si l’on sait de plus que la distance du point A à son conséquent est une quantité finie ou une quantité très petite du n-1e ordre au plus, si enfin il y a un invariant intégral positif, la courbe C est fermée. Comme Barrow-Green le montre, ce résultat est faux car pour démontrer ce théorème, Poincaré examine différentes situations mais oublie le cas où les deux branches sont seulement sécantes (Barrow-Green 1994, 123–124). Dans le cadre du problème restreint des trois corps, après avoir montré la convergence sous certaines conditions des développements en séries des solutions asymptotiques (voir § 89, note 5), Poincaré utilise ce théorème pour montrer que la courbe quasi-fermée qui correspond aux deux surfaces asymptotiques est en réalité fermée (Première impression du mémoire, IML, p. 143). Il croit établir ainsi que les surfaces asymptotiques sont fermées et que les solutions asymptotiques vérifient le résultat “difficile” suivant: On voit sans peine qu’il doit exister des trajectoires qui s’éloignent asymptotiquement d’une trajectoire fermée instable et d’autres qui s’en rapprochent asymptotiquement, mais le résultat difficile à établir et véritablement inattendu, c’est que ce sont les mêmes trajectoires asymptotiques, qui après s’être éloignées asymptotiquement d’une trajectoire fermée se rapprochent ensuite asymptotiquement de la même trajectoire fermée. (Première impression du mémoire, IML, p. 154) Poincaré devait être très troublé par la découverte de son erreur et hésiter dans l’appréciation de celle-ci. Peu après cette lettre, dans un moment d’optimisme, il confiait à Hermite la nouvelle sur un ton nettement moins dramatique: Ce m’est une véritable satisfaction de vous informer que la situation n’est nullement aussi grave que Poincaré l’avait d’abord pensé, quand il vous a écrit la lettre dont vous m’avez donné la copie, et que je tiens de lui-même, dans notre entretien d’il y a un moment, qu’il ne s’agit que d’un remaniement dans la rédaction de son magnifique travail. (Lettre de Hermite à Mittag-Leffler datée du 10 décembre 1889 — Dugac 1985, 180) On peut penser qu’à ce moment, Poincaré pensait sauver l’essentiel de ses résultats en utilisant directement la convergence des solutions asymptotiques pour démontrer la fermeture des courbes intersection des surfaces asymptotiques et de la section transverse. En effet, les surfaces asymptotiques étaient définies par les équations x1=s1(y1,y2,μ)x2=s2(y1,y2,μ), En désignant par s1p et s2p la somme des p premiers termes des séries s1 et s2, la surface définie par x1=s1p(y1,y2,μ)x2=s2p(y1,y2,μ). “diffère très peu des surfaces asymptotiques” et coupe la section transverse en une courbe fermée (Première impression du mémoire, IML, p. 220–243 ; 1952, 421–437). Poincaré aurait pu alors montrer que la courbe intersection des surfaces asymptotiques avec la section transverse était fermée puisque les séries s1 et s2 étant convergentes, les deux courbes aurait été aussi peu différentes l’une de l’autre que l’on voulait. L’édifice de Poincaré s’écroule définitivement lorsqu’il découvre sa deuxième erreur: les séries s1 et s2 qui décrivent les solutions asymptotiques ne sont jamais convergentes. En effet, si Poincaré avait répondu assez facilement à l’objection de Phragmén et Mittag-Leffler de la lettre précédente en montrant que ces séries ne comporte pas de puissances négatives de μ, il n’avait pas vu que le développement des termes 1-1γ+αβ-αi amène nécessairement des problèmes. Si γ n’est pas nul, cette expression est développable suivant les puissances de μ ; mais le rayon de convergence de la série ainsi obtenue tend vers zéro quand γβ tend vers zéro. (Première impression du mémoire, IML, p. 384) Poincaré utilise, dans la rédaction définitive de son mémoire, ses résultats sur les développements asymptotiques pour étudier ces séries et décrire les surfaces asymptotiques mais l’essentiel de ses résultats concernant la stabilité se sont effondrés. Pour plus de précisions, on peut consulter Barrow-Green 1994, 1997, Andersson 1994, Diacu & Holmes 1996, et Gray 1997.
Ce qui est vrai, c’est qu’il y en a une infinité qui jouissent de cette propriété.44 4 Une fois établi que les deux branches correspondant aux surfaces asymptotiques ne forment pas une courbe fermée car elles peuvent avoir simplement des points d’intersection (voir note 3), Poincaré montre que ces points d’intersection correspondent à des trajectoires doublement asymptotiques et qu’il y en a une infinité (Première impression du mémoire, IML, p. 442–445). Poincaré reprendra l’étude de ces points dans le troisième tome des Méthodes nouvelles de la Mécanique céleste (1899) et appellera les solutions doublement asymptotiques à une même solution périodique instable, les solutions homoclines.

Je ne vous dissimulerai pas le chagrin que me cause cette découverte. Je ne sais d’abord si vous jugerez encore que les résultats qui subsistent, à savoir l’existence des solutions périodiques, celle des solutions asymptotiques, la théorie des exposants caractéristiques, la non-existence des intégrales uniformes et la divergence des séries de M. Lindstedt méritent la haute récompense que vous avez bien voulu m’accorder.

D’autre part, de grands remaniements vont devenir nécessaires et je ne sais si on n’a pas commencé à tirer le mémoire ; j’ai télégraphié à M. Phragmén.

En tout cas je ne puis mieux faire que de confier mes perplexités à un ami aussi dévoué que vous l’avez toujours été.

Je vous en écrirai plus long quand j’aurai vu un peu plus clair dans mes affaires.

Veuillez agréer, mon cher ami, avec mes bien sincères excuses, l’assurance de mon entier dévouement.

Poincaré

* et de plus que leur distance est un infiniment petit d’ordre plus élevé que μp quelque grand que soit p.

ALS 2p. IML 54, Mittag-Leffler Archives, Djursholm.

Time-stamp: "19.03.2015 01:53"

Références

  • K. G. Andersson (1994) Poincaré’s discovery of homoclinic points. Archive for History of Exact Sciences 48 (2), pp. 133–147. Cited by: footnote 3.
  • J. E. Barrow-Green (1994) Oscar II’s prize competition and the error in Poincaré’s memoir on the three body problem. Archive for History of Exact Sciences 48 (2), pp. 107–131. Cited by: footnote 3.
  • J. E. Barrow-Green (1997) Poincaré and the Three Body Problem. AMS/LMS, Providence. Cited by: footnote 3.
  • F. Diacu and P. Holmes (1996) Celestial Encounters: The Origins of Chaos and Stability. Princeton University Press, Princeton. Cited by: footnote 3.
  • P. Dugac (1985) Lettres de Charles Hermite à Gösta Mittag-Leffler (1884–1891). Cahiers du séminaire d’histoire des mathématiques 6, pp. 79–217. External Links: Link Cited by: footnote 3.
  • J. Gray (1997) Poincaré in the Archives: Two Examples. Philosophia Scientiæ 2, pp. 27–39. External Links: Link Cited by: footnote 3.
  • J. R. Lévy (Ed.) (1952) Œuvres d’Henri Poincaré, Volume 7. Gauthier-Villars, Paris. External Links: Link Cited by: footnote 3.
  • H. Poincaré (1899) Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Volume 3. Gauthier-Villars, Paris. External Links: Link Cited by: footnote 4.