2-35. Gustave Le Bon

Gustave Le Bon (1841–1931) a fait des études de médecine à Paris, avant de s’intéresser à la technologie médicale. Il a publié des ouvrages portant sur l’hygiène, l’anthropologie, la photographie, et un livre influent sur la psychologie des foules (Le Bon 1895).11 1 Sur les contributions de Le Bon en sciences sociales, voir Robert Nye (1969) et Benoît Marpeau (2000). Le Bon a entrepris, à partir de 1896, des expériences de physique, sans avoir reçu une formation dans ce domaine. Pendant dix ans, Le Bon s’est intéressé, avec l’aide d’un assistant, aux phénomènes de rayonnement, menant des expériences dans son laboratoire privé, mais aussi dans des laboratoires industriels, et dans le laboratoire de Bouty à la Sorbonne. En tant qu’amateur, Le Bon a eu du mal à s’intégrer dans la communauté physique française de la fin du XIXe siècle, comme l’observe Mary-Jo Nye (1974).

En 1896, peu après la découverte des rayons X par Röntgen, et peu avant la découverte par Henri Becquerel de la radioactivité des sels d’urane, Le Bon a dévoilé un nouveau type de rayonnement. Selon Le Bon, une source lumineuse quelconque émet ce qu’il appelle de la “lumière noire”, capable de pénétrer des métaux, mais incapable de pénétrer du papier noir (Le Bon 1896).

Malgré son statut d’amateur, Le Bon joussait d’une certaine autorité scientifique. Il a publié ses recherches dans un hebdomadaire scientifique, la Revue scientifique, et la vente de ses livres de psychologie sociale a fait connaître son nom au grand public. A l’Académie des sciences, Arsène d’Arsonval, un membre de la section de médecine et chirurgie, a présenté les premières notes de Le Bon. Poincaré s’y est intéressé également, et il fut le premier à évoquer les “rayons Le Bon” (Poincaré 1897, 80), sans se prononcer sur la réalité de ces rayons.

Malgré le scepticisme affiché par Henri Becquerel et les frères Lumière par rapport aux résultats expérimentaux de Le Bon, dont ce dernier s’est plaint (Le Bon 1905, 27, 1908), Poincaré a communiqué trois de ses notes à l’Académie des science en 1899 et 1900, et une autre en 1906.22 2 Le Bon 1899b, 1899a, 1900b, 1906. La note publiée le 02.04.1900 a fait l’objet d’une réclamation de priorité de la part de Pierre Curie (1900), dans laquelle il a observé que les résultats communiqués par Le Bon se trouvaient dans les publications de Friedrich Giesel, Henri Becquerel, Marie Curie et lui-même. Pierre Curie a profité de l’occasion pour affirmer que la lumière noire de Le Bon n’est autre que de la lumière infrarouge, ce que Le Bon a contesté peu après (Le Bon 1900a).

Suite à la note de Pierre Curie, Poincaré n’a rien communiqué de plus de Le Bon à ce sujet; d’autres académiciens s’en sont chargés. Les idées iconoclastes de Le Bon sur la matière et le rayonnement furent largement diffusées, suite au succès de son livre L’évolution de la matière (Le Bon 1905), qui fut traduit en anglais (Le Bon 1907). Après dix ans de recherches, Le Bon n’attirait plus que du mépris de la communauté physique française, et il a mis fin à ses expériences.

Poincaré et son cousin Raymond participaient souvent aux déjeuners organisés depuis 1892 par Le Bon et Théodule Ribot, professeur de psychologie expérimentale au Collège de France (R. Nye 1969, 26). A travers ces rencontres, auxquels furent conviés des hommes politiques, scientifiques, hommes d’affaires, aristocrates, militaires, diplomates, hommes de lettres, journalistes, et universitaires, Le Bon tissait des liens extensifs. Il a su exploiter ce vaste réseau de connaissances en tant que fondateur d’une collection chez Ernest Flammarion, la Bibliothèque de philosophie scientifique.33 3 Sur la pensée politique de Le Bon, voir Rouvier (1986). A l’incitation de Le Bon, Poincaré a publié dans cette collection quelques articles philosophiques, remaniés et réunis sous un titre fourni par Le Bon : La science et l’hypothèse (Poincaré 1902).44 4 Sur l’édition des livres de Poincaré voir Rollet (2001).

La correspondance entre Poincaré et Le Bon comprend vingt-cinq lettres, dont vingt-et-une de Poincaré, rédigées entre 1896 et 1911. L’échange le plus riche concerne les recherches menées par Le Bon en 1899, qui font l’objet des notes communiquées par Poincaré à l’Académie des sciences. Cet échange comprend une page extraite du cahier de laboratoire de Le Bon (§ 2-35-6).

Au début des années 1970, les lettres de Poincaré à Le Bon faisaient partie d’une collection particulière à Paris, que M.-J. Nye a consultée. En 1998, la Société des amis de Gustave Le Bon nous a communiqué des numérisations de neuf lettres de Poincaré à Le Bon, dont sept correspondent aux transcriptions de Nye. Il reste huit transcriptions pour lesquelles nous n’avons pu consulter un manuscrit ou fac-similé. Faute de pouvoir établir de fidèles transcriptions de ces huit lettres, nous avons fait des résumés, à partir des notes de M.-J. Nye.

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Références

  • P. Curie (1900) Remarques à propos d’une note récente de M. G. Le Bon. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 130, pp. 1072–1073. External Links: Link Cited by: 2-35. Gustave Le Bon.
  • G. Le Bon (1895) Psychologie des foules. Alcan, Paris. External Links: Link Cited by: 2-35. Gustave Le Bon.
  • G. Le Bon (1896) La lumière noire. Revue scientifique, pp. 155–156. External Links: Link Cited by: 2-35. Gustave Le Bon.
  • G. Le Bon (1899a) Sur la transparence des corps opaques pour les radiations lumineuses de grande longueur d’onde. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 128, pp. 297–300. External Links: Link Cited by: footnote 2.
  • G. Le Bon (1899b) Sur les propriétés optiques de la luminescence résiduelle invisible. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 128, pp. 174–176. External Links: Link Cited by: footnote 2.
  • G. Le Bon (1900a) L’uranium, le radium et les émissions métalliques. Revue scientifique 13, pp. 548–552. External Links: Link Cited by: 2-35. Gustave Le Bon.
  • G. Le Bon (1900b) Sur la propriété de certains corps de perdre leur phosporescence par la chaleur et de la reprendre par le refroidissement. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 130, pp. 891–894. External Links: Link Cited by: footnote 2.
  • G. Le Bon (1905) L’évolution de la matière. Flammarion, Paris. External Links: Link Cited by: 2-35. Gustave Le Bon, 2-35. Gustave Le Bon.
  • G. Le Bon (1906) La dissociation de la matière sous l’influence de la lumière et de la chaleur. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 143, pp. 647–649. External Links: Link Cited by: footnote 2.
  • G. Le Bon (1907) The Evolution of Matter. Charles Scribner’s Sons, New York. External Links: Link Cited by: 2-35. Gustave Le Bon.
  • G. Le Bon (1908) Brelan d’académiciens : Henri Poincaré. Opinion, pp. 13–14. Cited by: 2-35. Gustave Le Bon.
  • B. Marpeau (2000) Gustave Le Bon : parcours d’un intellectuel, 1841–1931. CNRS Éditions, Paris. Cited by: footnote 1.
  • M. J. Nye (1974) Gustave Le Bon’s black light: A study in physics and philosophy in France at the turn of the century. Historical Studies in the Physical Sciences 4, pp. 163–195. External Links: Link Cited by: 2-35. Gustave Le Bon.
  • R. A. Nye (1969) An Intellectual Portrait of Gustave Le Bon: A Study of the Development and Impact of a Social Scientist in his Historical Setting. Ph.D. Thesis, University of Wisconsin, Madison. Cited by: 2-35. Gustave Le Bon, footnote 1.
  • H. Poincaré (1897) Les rayons cathodiques et les rayons Roentgen. Revue scientifique 7, pp. 72–81. External Links: Link Cited by: 2-35. Gustave Le Bon.
  • H. Poincaré (1902) La science et l’hypothèse. Flammarion, Paris. External Links: Link Cited by: 2-35. Gustave Le Bon.
  • L. Rollet (2001) Henri Poincaré, des mathématiques à la philosophie : étude du parcours intellectuel, social et politique d’un mathématicien au début du siècle. Éditions du Septentrion, Lille. External Links: Link Cited by: footnote 4.
  • C. Rouvier (1986) Les idées politiques de Gustave Le Bon. Presses universitaires de France, Paris. Cited by: footnote 3.