H. Poincaré: Rapport sur la thèse de Barbillion

24 janvier 1899

Une des questions les plus difficiles dans l’étude des oscillations électriques et une de celles qui ont donné aux recherches les plus nombreuses est la détermination des indices de réfractions des ondes électriques. Les résultats obtenus ne sont pas toujours très concordants et ils ont souvent fait ressortir des différences considérables entre les indices électriques et les indices optiques. Pour expliquer ces anomalies, il faudrait posséder des notions certaines sur la loi de la dispersion des ondes électriques.

C’est ce problème délicat que M. Barbillion a abordé dans sa thèse ; la voie lui avait été ouverte par les travaux du professeur Drude qui avait fait ressortir l’importance de l’absorption dans cette question.11 1 Barbillion 1899.

L’auteur de la thèse commence par un exposé très complet des diverses théories de la dispersion électrique et des nombreuses expériences exécutées par ses devanciers. Ces travaux antérieurs ont mis en évidence la nécessité de distinguer deux indices différents toutes les fois que l’absorption est notable : l’indice vrai qui intervient dans les mesures de longueur d’onde, l’indice apparent qui intervient dans les mesures de capacité.

La méthode de M. Barbillion a pour objet la mesure simultanée de ces deux indices d’où l’on peut déduire à la fois la vitesse de propagation et le coefficient d’absorption. Cette méthode a été variée de plusieurs manières. Un circuit de Lecher portant deux ponts porte à son extrémité un petit condensateur ; après avoir obtenu l’illumination maximum d’un tube à vide, on plonge une partie du fil dans le diélectrique à étudier ; le fil ainsi plongé équivaut électriquement à une certaine longueur de fil plongée dans l’air et le rapport de la longueur vraie du fil à cette longueur équivalente est précisément l’indice vrai. Il faut alors déplacer le pont pour rétablir l’illumination du tube et ce déplacement nous donne la mesure de l’indice vrai.

D’autre part on peut plonger le condensateur terminal dans un diélectrique ; sa capacité se trouve ainsi augmentée dans un rapport qui dépend de l’indice apparent. Le déplacement du pont nécessaire pour rétablir l’illumination permet alors de mesurer l’indice apparent.

On peut aussi au lieu de déplacer le pont, faire varier la capacité géométrique du condensateur terminal en rapprochant ou éloignant les plateaux.

Dans un autre dispositif, les ponts sont supprimés et les deux bornes de l’appareil excitateur sont simplement réunies à deux longs fils parallèles aboutissant aux deux plateaux du condensateur terminal.

Les mesures faites sont toujours relatives ; c’est-à-dire que le circuit variable mis en expérience est toujours comparé à un circuit étalon fixe mis en branle par le même excitateur. Une ingénieuse disposition des tubes à vide permet de faire des mesures différentielles. Ainsi se trouvaient éliminées un grand nombre de causes d’erreurs. Presque tous les corps expérimentés ont mis en évidence une dispersion anormale, ce qui s’accorde d’ailleurs avec la variable notable du coefficient d’absorption pour les ondes dont la longueur est d’environ 1 mètre. Quelques corps, cependant, tels que l’alcool propylique, ont montré une faible dispersion normale d’une façon plus ou moins nette.

L’auteur a cherché à appliquer la même méthode aux métaux, en intercalant une feuille métallique très mince dans son condensateur, les chiffres qu’il obtient pour le pouvoir inducteur et pour le coefficient d’absorption sont extrêmement élevés. La méthode directe de détermination de l’indice vrai se trouvant ici en défaut, il fallait mesurer directement l’absorption ; pour cela on la comparait à celle d’un électrolyte. Les expériences sont extrêmement délicates et comportent un grand nombre de causes d’erreurs ; mais les résultats obtenus par M. Barbillion, quoique grossièrement approchés, ne nous sont pas moins précieux, vu l’ignorance presque complète où nous étions jusqu’ici sur la valeur du pouvoir inducteur des métaux.

Une autre question est abordée par M. Barbillion. Le pouvoir inducteur d’un diélectrique est-il modifié par la présence d’un champ électrique intense ? Si à ce champ intense, statique ou oscillatoire, on superpose un champ additionnel oscillatoire, le diélectrique se comportera-t-il vis à vis de ce champ additionnel comme si le champ intense n’existait pas ? Les expériences ont été variées de bien des manières ; les deux champs étaient tantôt à angle droit, tantôt de même direction ; ils pouvaient être statiques ou oscillatoires, avoir ou non même période. Ces expériences ont montré que le pouvoir inducteur dépend de la présence du champ intense. C’est là une conséquence dont il est superflu de faire ressortir l’intérêt.

En résumé M. Barbillion a fait preuve d’un esprit judicieux et s’est montré habile expérimentateur. Il a enrichi la science de nombreuses données numériques nouvelles et nous sommes d’avis qu’il y a lieu de l’autoriser à faire imprimer et à soutenir sa thèse.

Poincaré

ADS. AJ/16/5537, Archives nationales françaises.

Time-stamp: "29.08.2016 05:55"

Références

  • L. Barbillion (1899) Sur la dispersion électrique. Ph.D. Thesis, Faculté des sciences de Paris, Paris. Cited by: footnote 1.