Conférence sur les comètes
Les amateurs de comètes ont été favorisés cette année; ils ont eu deux belles comètes visibles à l’œil nu ou du moins qui auraient dû l’être si le temps l’avait permis. La première, la plus belle des deux, n’avait pas été annoncée; la seconde, au contraire, avait été prédite; on avait calculé son orbite d’avance et elle arrivée à point nommé avec une exactitude que pourraient envier les trains de l’Ouest-État; mais ce n’est pas cette exactitude qui a fait la popularité de la comète de Halley; on avait annoncé que sa rencontre avec la Terre amènerait la fin du monde dans la nuit du 18 mai. En France, cela se borna à quelques chansons, mais il y a eu des pays où l’on a eu réellement peur, et on a vu des pharmaciens qui ont fait fortune en débitant je ne sais quel antidote contre le cyanogène. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que le monde a continué à vivre après le 18 mai. Mais alors ce fut une autre antienne; comme la comète ne se montrait pas, beaucoup de gens se sont imaginé qu’elle n’avait jamais existé et que les astronomes étaient des mystificateurs. Toujours est-il qu’on en a beaucoup parlé et la comète de Halley était encore une actualité quand j’ai choisi le sujet de cette conférence; aujourd’hui elle est peut-être un peu oubliée; sans doute, il est trop tard pour parler encore d’elle. Cependant, peut-être y a-t-il quelque intérêt à rechercher si réellement notre planète vient d’échapper à aussi grand danger qu’on l’a dit.
La comète de Halley est chère aux astronomes parce que c’est la première dont le retour a été prédit. Halley l’ayant observée au XVIIe siècle, calcula son orbite avec assez d’exactitude pour annoncer qu’elle reviendrait au bout de 75 ans. Il mourut, bien entendu, avant l’échéance, mais ses successeurs revirent l’astre chevelu en 1759 et il revint encore à point nommé en 1835. On l’attendait en 1910 et dès l’année dernière on espérait pouvoir le voir avec de bons instruments. Deux astronomes anglais calculèrent avec soin les circonstances de ce retour; ce n’est pas chose facile, les comètes sont exposées à une foule de mauvaises rencontres dans ces espaces célestes où il rôde tant de planètes; chacune de ces rencontres, même à très grande distance, les détourne légèrement de leur route, il fallait n’oublier aucune de ces rencontres et en prévoir les effets. Quoi qu’il en soit, on m’a montré l’année dernière, à Greenwich, une plaque photographique représentant une portion du ciel étoilé; on y voyait une petite tache à peine perceptible, c’était la comète qui se trouvait exactement au point calculé d’avance. Depuis elle a grossi et si on ne l’a pas vue à Paris à cause du mauvais temps, ou parce qu’elle était trop bas sur l’horizon, on l’a admirée d’un grand nombre de points du globe.
Mais arrivons au point qui nous intéresse. Avons-nous réellement traversé la queue de la comète? Nous pouvons d’abord répondre hardiment, non, nous ne sommes pas passés à travers la queue le 18 mai; si nous y étions passés, ce ne pourrait être que deux jours après. Pourquoi avait-on pu croire que nous rencontrerions cette queue précisément dans la nuit en question? On avait calculé que le noyau de la comète passerait à ce moment devant le Soleil et cela est arrivé effectivement; on ne pouvait pas le voir en Europe parce que le Soleil et la comète étaient couchés à l’heure du passage. On ne l’a pas vu non plus aux antipodes, parce que le Soleil est tellement brillant et la matière du noyau si peu dense et par conséquent si transparente que l’éclat du disque solaire n’en était pas affaibli; mais on a pu observer le noyau un peu avant et un peu après le passage et on s’est assuré que sa trajectoire apparente passait bien devant le Soleil. Ainsi, à un certain moment, le Soleil, le noyau et la Terre se sont trouvés en ligne droite. Si la queue était rectiligne, si elle était dirigée à l’opposé du Soleil, et si elle était assez longue, elle devait donc rencontrer la Terre. Les deux dernières conditions étaient certainement remplies; mais pouvait-on admettre que la queue était en ligne droite. On a souvent observé des comètes à queue recourbée; si la queue paraît souvent rectiligne, cela peut être par un effet de perspective, parce que l’?il est placé dans le plan de la courbe. Cette courbure paraît varier d’une comète à l’autre et dépendre de la composition de la queue, c’est ce que nous verrons plus loin. On ne pouvait donc prévoir quelle serait cette courbure, ni si elle serait assez faible pour que la rencontre restât possible; les observations ne nous apprenaient rien non plus, parce que le mauvais temps avait empêché de rien voir en Europe dans les jours qui avaient précédé le passage, et que celles qui nous venaient des autres continents nous arrivaient par le télégraphe et sous une forme singulièrement succincte. Mais si la queue avait été rectiligne on aurait dû la voir le lendemain très courte et opposée au Soleil; ce n’est pas du tout cela qu’on a vu; le soir on voyait le noyau avec une courte queue se perdant sous l’horizon du côté du Soleil, et le matin, le noyau et le Soleil n’étant pas encore levés, on voyait encore une certaine longueur de queue; c’est ce qu’on vit le 19 et le 20 mai au matin. La Terre n’avait donc pas encore franchi la queue; le 21 seulement cette queue du matin avait disparu, nous venions seulement de dépasser la queue.
La queue était donc notablement courbe et si nous l’avons traversée, ce n’est que dans la nuit du 20 au 21. Quelle que soit sa courbure, nous l’aurions rencontrée tôt ou tard si l’orbite de la comète et celle de la Terre avaient été dans un même plan. Mais il n’en est plus de même si les deux orbites sont inclinées l’une sur l’autre; nous pouvons alors dépasser la queue sans passer dedans, mais en passant dessus ou dessous. L’axe de la queue était évidemment dans le plan de l’orbite de la comète; l’inclinaison de ce plan étant de 18°, la Terre était à plus d’un million de kilomètres de ce plan dans la nuit du 20 mai. Ne vous effrayez pas de ce chiffre, cela n’est pas énorme; la question est de savoir si l’épaisseur de la queue était de plus de 2.000.000 de kilomètres. Il semble que non d’après les observations faites, et alors nous devons conclure que nous n’avons pas traversé la queue, que nous l’avons tout au plus frôlée en effleurant les parties extérieures les moins denses.
Déjà en 1861, on a dit que nous étions passés dans la queue d’une comète; les données me manquent pour vous dire si cette hypothèse est conforme aux faits; en tout cas les choses se sont passées d’une façon aussi peu tragique que le 18 mai dernier. Mais une autre question se pose: si réellement nous avions traversé le queue d’une comète que serait-il arrivé? Pour y répondre, il est nécessaire que je vous rappelle rapidement ce que nous savons des comètes en général.
Et d’abord, d’où viennent les comètes? Sont-elles étrangères à notre système solaire; traversent-elles en tous sens les espaces immenses qui séparent les étoiles? Sont-elles des messagères qui vont d’une constellation à l’autre; ou bien, au contraire, ces astres sont-ils des membres fantaisistes de notre système, des satellites très excentrique du Soleil? Dans ce dernier cas, elles doivent toutes décrire des courbes fermées, des ellipses; dans le premier, leurs trajectoires doivent s’étendre à l’infini; c’est ce que nous appelons des hyperboles. La plupart décrivent des courbes tellement allongées qu’il est impossible de savoir si elles sont fermées ou non, si, par conséquent, l’astre qui les décrit nous reviendra un jour, ou si nous sommes destinés à ne le revoir jamais; je ne parle pas de nous, bien entendu, mais de nos descendants les plus lointains; car, si la comète doit revenir, ce sera souvent dans 10.000 ans, peut-être dans 50.000 ans. Mais le calcul des probabilités nous montre que si les comètes n’appartenaient pas au système solaire, elles devraient, en majorité, avoir des orbites franchement hyperboliques, sur lesquelles il n’y aurait pas moyen de se tromper: or, il n’y en a pas une seule qui soit dans ce cas.
La conclusion, c’est que les comètes ont appartenu de tout temps au système solaire, qu’elles ne nous apportent pas des nouvelles des mondes plus lointains, de ceux qui gravitent autour des autres étoiles. En général, elles décrivent des orbites beaucoup plus allongées que les planètes, elles s’éloignent beaucoup plus du Soleil et on peut admettre qu’elles mettent plusieurs milliers d’années à faire une révolution complète. La première comète de cette année, la plus belles des deux, n’avait pas été annoncée parce qu’elle n’était pas encore passée dans notre voisinage depuis les temps historiques; c’était la première fois qu’on la voyait. Nous avons vu toutefois que la seconde, celle de Halley, revient tous les 75 ans; il y en a d’autres dont le retour est encore plus fréquent, tous les 6 ans, par exemple. À quoi cela tient-il; ont-elles une autre origine que les autres, une origine qui ferait d’elles des intermédiaires entre les comètes proprement dites et les planètes? Pas le moins du monde; autrefois, elles mettaient comme les autres des milliers d’années à faire le tour de leur orbite, mais il leur est arrivé dans le cours de leur histoire une mésaventure; elles ont rencontré une grosse planète; je ne veux pas dire qu’elles l’ont choquée; elles sont simplement passées assez près pour que leur trajectoire soit profondément troublée; déviées de leur route, elles ont quitté la grande ellipse allongée qu’elles décrivaient, pour suivre une autre ellipse plus petite, plus semblable à un cercle, qu’elles peuvent parcourir en moins de temps. C’est ainsi que la comète de Halley a été captée, comme on dit, par Neptune, et la plupart des autres comètes périodiques par Jupiter.
Quel est maintenant l’avenir des comètes? Nous voyons les planètes graviter autour du Soleil sans subir de changement sensible; sans doute, elles ne sont pas éternelles, elles périront un jour, mais dans si longtemps! En est-il de même des comètes? Non, ces astres périclitent rapidement et nous en avons vu disparaître sous nos yeux.
Ainsi, il y avait une comète, celle de Biéla, qui avait été captée par Jupiter et qui revenait tous les 6 ans. À un de ses passages, il y a une cinquantaine d’années, comme on avait été quelques jours sans pouvoir l’observer, à cause du mauvais temps, on l’a revue divisée en deux par je ne sais quel cataclysme; les deux noyaux semblaient s’éloigner l’un de l’autre. On les revit encore à l’apparition suivante. Six ans après encore, on attendait la comète, on ne la vit pas reparaître et, depuis, elle n’est plus revenue; mais, au lieu et place de la comète défunte, on a une pluie d’étoiles filantes qui reviennent maintenant régulièrement; si l’on calcule l’orbite de ces étoiles filantes, on trouve qu’elle coïncide avec celle que suivait autrefois la comète; c’est pourquoi ces étoiles filantes que l’on revoit tous les ans, le 27 novembre, ont reçu le nom de Biélides. Schiaparelli, le grand astronome italien qui vient de mourir, a généralisé ce résultat; il a reconnu qu’un grand nombre d’essaims de météores ont des orbites en connexion intime avec celles de comètes vivantes ou disparues. Sans doute la coïncidence n’est pas parfaite, puisque l’orbite de la comète ne rencontrant pas celle de la Terre, nous ne verrions pas les météores, s’ils ne s’en écartaient un peu. D’ailleurs, ces étoiles filantes suivent à peu près la route de la comète, mais elles sont répandues tout le long de cette route, plus ou moins en retard sur la comète qui leur a donné naissance.
Ceci me rappelle une histoire de fin du monde. L’essaim des Léonides circule dans l’orbite de la comète de 1866; on voit tous les ans des étoiles filantes le 13 novembre; mais, tous les 33 ans, le nombre des météores aperçus est un maximum, parce que la durée de la révolution de la comète est de 33 ans. Or, les journaux bien informés avaient annoncé que la fin du monde devait avoir lieu le 13 novembre 1899. Tout éploré, un journaliste vint m’interviewer, je le rassurai en lui disant que le même phénomène s’était déjà produit en 1833 et en 1866.
Ainsi, les comètes se désagrègent peu à peu et finissent par se résoudre en un essaim d’étoiles filantes; comment se fait-il alors qu’il y ait encore des comètes depuis le temps que le monde dure? C’est que cette lente destruction des astres chevelus paraît ne se produire qu’au moment où ils passent près du Soleil. Tant qu’une comète ne passe au périhélie que tous les 10.000 ans, par exemple, elle peut évidemment durer longtemps; mais vient-elle à être captée par une planète, comme nous l’avons dit tout à l’heure, elle devient périodique, se rapproche davantage du Soleil et revient tous les siècles, ou même tous les 10 ans, se réchauffer à ses rayons. Désormais, ses jours sont comptés et l’?uvre de mort se poursuit rapidement.
Pourquoi maintenant les comètes ont-elles des queues? Et si elles n’avaient pas de queue, il faut bien le reconnaître, personne, en dehors des professionnels, ne ferait attention à elles. C’est là une question dont on a proposé bien des solutions plus ou moins saugrenues; il y en a une maintenant qui est à la mode et qui paraît appuyée d’assez bonnes raisons pour qu’on puisse se demander si elle n’est pas destinée à durer. Mais ceci nécessite quelques explications. Maxwell, en se fondant sur des considérations théoriques, était arrivé à cette conclusion que la lumière devait repousser les corps qu’elle frappe; depuis, Bartholi11 1 Adolfo Giuseppe Bartoli., par d’autres considérations théoriques aussi, mais entièrement différentes, était arrivé à la même conclusion. Il restait à vérifier ces hypothèses et la difficulté provenait de la petitesse de cette répulsion. C’est dans ce but que fut imaginé un instrument que vous connaissez bien, le radiomètre; on espérait qu’il tournerait sous l’influence de la lumière, comme l’exigeait la théorie. Il tourna, en effet; il tourna même beaucoup plus vite qu’on ne s’y attendait; malheureusement, il tournait à l’envers. Il y avait donc un effet que personne n’avait prévu, qui était beaucoup plus considérable que celui qu’on avait calculé et qui le masquait complètement; il fallait en découvrir la cause: on y parvint sans trop de peine; la rotation est due aux mouvements déterminés dans l’air très raréfié qui remplit l’appareil par les inégalités d’échauffement.
On essaya alors d’éliminer cet effet perturbateur en prenant des palettes très minces et brillantes des deux côtés; l’appareil ne tourna pas, mais il subit une légère déviation; on m’a dit que cette déviation est en accord avec la théorie. J’ai entendu parler aussi d’une expérience plus frappante. On fait tomber dans un sablier un mélange de limaille de fer et de poudre de lycopode; à un certain moment, on dirige sur ce mélange un faisceau lumineux; le fer, qui est plus lourd, continue son chemin vertical, mais le lycopode, repoussé par la lumière, se trouve dévié et séparé de la limaille. On aurait là, pense-t-on, une reproduction artificielle des queues cométaires; la limaille représenterait le noyau, formé de matières plus lourdes, qui continuerait à parcourir son ellipse avec la sagesse d’une simple planète; le lycopode, ce serait la queue qui, au lieu de rester sur cette ellipse, serait déviée et rejetée au loin par la répulsion due à la lumière solaire.
La queue serait donc formée de particules très ténues, assez ténues pour que cette répulsion l’emporte sur l’attraction newtonienne. On conçoit, en effet, que cette attraction est proportionnelle aux masses, tandis que la répulsion, qui agit superficiellement, est proportionnelle aux surfaces; si donc on considère deux sphères et que la plus grande ait un rayon double, la plus grande sera attirée huit fois plus et repoussée quatre fois plus que la petite; il peut donc se faire que la répulsion prédomine pour la plus petite et l’attraction pour la plus grande.
Quelle peut être la dimension de ces particules? On peut s’en rendre compte. Un astronome russe, M. Bredichin22 2 Fedor Aleksandrovich Bredikhin., a étudié les formes des queues cométaires; il a reconnu que la théorie précédente pouvait en rendre compte; que la courbure des queues était variable, sans doute d’après la composition des particules, et que cette courbure dénotait différents types de particules, pour lesquels la répulsion était soit cinq fois, soit sept fois, soit même vingt fois plus grande que l’attraction. À quelles dimensions cela nous conduit-il pour ces corpuscules? Cela dépend naturellement de la densité qu’on leur attribue; mais remarquons qu’ils ne peuvent être gazeux; les gaz sont transparents, ils laissent passer la lumière qui les traverserait sans agir sur eux.
On les regarde donc comme solides ou liquides et on leur attribue, un peu arbitrairement, la densité du pétrole, sans doute parce que l’on a trouvé les raies des hydrocarbures dans le spectre des comètes. Le calcul montre alors que le diamètre de ces particules doit être de l’ordre du millième de millimètre. Les divers types de queues de Bredichin correspondraient alors soit à des particules de diamètres différents, soit à des particules formées de substances plus ou moins denses.
On voit comment nous devons maintenant nous représenter la genèse des queues cométaires. La queue est comme un panache que le noyau transporte avec lui; mais il y a deux espèces de panaches; il y a celui que le militaire porte à son casque ou à son képi, et il y a le panache de fumée qui sort de la cheminée des bateaux à vapeur. Le panache du militaire voyage avec lui, il est toujours formé des mêmes plumes, il fait corps avec le casque. Un observateur superficiel pourrait croire qu’il en est de même du panache de fumée du paquebot, puisqu’il verrait que le navire est allé de New-York au Havre sans cesser de traîner derrière lui une sorte de queue qui a conservé tout le temps à peu près la même forme. Et pourtant nous savons qu’il n’en est rien, que la fumée se serait promptement dissipée si la cheminée n’en avait constamment fourni de nouvelle pour remplacer celle qui disparaissait. La fumée qui est arrivée au Havre n’est pas du tout celle qui était partie de New-York.
La queue d’une comète est semblable à la fumée du bateau; ce n’est pas une espèce de grand sabre avec lequel la comète fauche l’espace. Mais à chaque instant, pour une cause inconnue, et sans doute sous l’influence de la chaleur solaire, des particules se détachent du noyau; la comète s’effrite, pour ainsi dire; une fois détachées, leur légèreté même les expose à la répulsion due à la lumière solaire et elles s’éloignent en se perdant dans l’espace; la queue aurait bientôt disparu, si elle ne se renouvelait sans cesse.
Dans ces conditions, vous comprenez que la rencontre de cette queue ne peut pas être bien redoutable. Et d’abord la masse des comètes n’est pas très considérable; on n’a jamais observé qu’elles exerçassent sur les orbites planétaires la plus légère influence perturbatrice. Une d’elles est passée une fois entre Jupiter et ses satellites; sa trajectoire a été fortement déviée, mais ni Jupiter ni les satellites n’ont eu l’air de s’apercevoir de rien. Laplace a été jusqu’à dire que la masse d’une comète n’est que de quelques kilogrammes; en cela, il exagérait, évidemment; la rencontre d’un noyau avec la Terre engendrerait sans doute quelques dégâts, mais cette éventualité est extrêmement peu probable, les noyaux sont relativement petits et nous n’aurions vraiment pas de chance d’aller donner justement dans un but aussi restreint. Il n’en est pas de même pour les queues, qui occupent dans le ciel des espaces énormes, mais alors leur densité devient vraiment négligeable et il est aisé de s’en rendre compte.
Ce qui pourrait faire croire le contraire, c’est la lumière dont elles brillent. Si nous admettons même que tout provient de la lumière solaire réfléchie et qu’il n’y a pas à faire intervenir ces phénomènes cathodiques qui peuvent se produire dans le vide, il n’y aurait pas lieu de trop s’effrayer.
Si nous considérons une même masse éclairée par le Soleil, la quantité de lumière qu’elle réfléchira sera d’autant plus grande qu’elle sera plus divisée. Si cette masse est formée d’un grand nombre de petites sphères, la lumière réfléchie sera d’autant plus intense que ces sphères seront plus petites. Il est aisé de s’en rendre compte; considérons de grosses sphères de 2 de rayon et de petites sphères de 1 de rayon; le volume ou la masse de la grosse sphère sera 8 fois le volume ou la masse de la petite, mais la surface de la grosse sphère sera seulement 4 fois la surface de la petite. Huit petites sphères équivaudront donc à une grosse au point de vue de la masse; mais elles auront en tout deux fois plus de surface; elles réfléchiront donc deux fois plus de lumière. La Lune a un peu plus de mille kilomètres de rayon et nos particules ont un millième de millimètre. Si donc nous remplissions le volume de la Lune par de pareilles particules, de façon que la densité totale soit un million de millions de fois plus petite que celle de la Lune, la lumière qu’elles réfléchiraient aurait l’éclat de la Lune. Si nous les regardions à la distance de notre satellite, elles nous feraient l’effet de la Lune; si nous étions plus loin, nous verrions un disque plus petit, mais dont l’éclat serait le même.
Or, on ne saurait songer à comparer l’éclat d’une queue cométaire à celui de la Lune; il est peut-être cent mille fois plus faible, je ne crois pas qu’on ait fait de mesure, mettons mille fois; nous devons conclure que la densité de ces particules est
fois plus petite que celle de l’eau; nous pouvons dire que c’est le vide, puisque c’est une densité un milliard de fois plus faible que celles auxquelles nous parvenons avec beaucoup de peine quand nous avons fait le vide dans nos appareils, avec les moyens artificiels les plus perfectionnés que nous connaissions.
Nous n’avons donc rien à redouter du choc; allons-nous donc craindre les effets calorifiques? En voyant les queues si brillantes, nous pourrions croire qu’elles sont chaudes; mais notre Terre, qui n’est pas chaude, apparaîtrait bien plus brillante encore; à cette distance, elle aurait l’aspect qu’ont pour nous Mars ou Jupiter. Ces particules sont, au contraire, très froides, et elles seraient chaudes qu’il n’y aurait pas à s’en inquiéter, parce que leur masse est trop faible; une goutte d’eau bouillante jetée dans la mer ne la réchaufferait pas sensiblement. Nous devons donc conclure comme il suit: nous n’avons pas traversé la queue le 18 mai, nous n’avons fait que la frôler le 20, mais nous l’aurions rencontrée que nous ne nous en serions pas aperçus; nous aurions dormi comme à l’ordinaire et, en nous réveillant le lendemain, nous aurions trouvé le monde tout pareil à ce qu’il était la veille. Les astronomes qui auraient veillé n’auraient rien vu du tout, pas même ces étoiles filantes dues à la désagrégation des comètes et qu’on a observées en 1899.
Il reste cependant une question, celle des gaz délétères; nous n’aurions été ni écrasés ni brûlés; nous aurions pu être empoisonnés.
Il est certain que la comète de Halley est particulièrement riche en cyanogène; on l’a reconnu en étudiant son spectre, mais les raies du cyanogène, comme celles des autres gaz, n’ont été observées que dans les parties de la chevelure les plus voisines du noyau; on n’en voit pas dans la queue, soit qu’il n’y en ait réellement pas, soit qu’il y en ait trop peu, soit qu’à une certaine distance de la tête il cesse d’être lumineux. Si le mécanisme de la formation de la queue est celui que je vous ai exposé, celui que suppose Bredichin, il n’y a aucune raison pour que le cyanogène soit entraîné dans la queue. La répulsion de la lumière solaire n’agit que sur les particules solides ou liquides, elle n’agit pas sur les gaz, parce que ceux-ci sont transparents et n’arrêtent pas la lumière; les poussières solides ou liquides sont seules entraînées et ce sont elles exclusivement qui doivent former la queue. S’il y avait des gaz, leur densité serait sans doute plus faible encore que la densité moyenne de la queue, que nous avons calculée tout à l’heure, elle serait tout à fait insensible, même pour nos meilleurs instruments, même pour les organismes les plus susceptibles. On a fait des prises d’essai après le passage pour savoir si la composition de l’atmosphère avait varié; on n’a rien trouvé du tout; c’était bien inutile, il était bien impossible qu’on y trouvât quelque chose. Le danger d’empoisonnement était donc aussi chimérique que les deux autres.
Une dernière question; les deux comètes de cette année ont-elles été pour quelque chose dans les mauvais temps que nous avons subis? Il y a, à ce sujet, une théorie intéressante de mon ami M. Deslandres. On admet généralement que le Soleil nous envoie des rayons cathodiques et ce sont ces rayons qui produiraient, par exemple, les aurores boréales. Quand les rayons cathodiques frappent dans le vide une surface solide ou liquide, ils engendrent des rayons X; les rayons cathodiques solaires trouvent dans les particules qui forment les queues cométaires une grande étendue de surface réfléchissante. La présence des comètes va donc engendrer des rayons X qui sillonneront l’espace. Les rayons X ionisent l’atmosphère et les ions déterminent la condensation de la vapeur d’eau. Cela ne veut pas dire qu’il pleuvra partout; les ions ne peuvent condenser la vapeur d’eau que s’il y en a une quantité notable; mais dans des lieux où on aurait eu simplement beau temps avec degré hygrométrique élevé, on aura des nuages et de la pluie.
Cette théorie est séduisante; elle mérite d’être examinée, mais elle soulève bien des objections. D’abord, la tradition parle de comètes qui, au lieu de nous apporter de l’eau, nous ont apporté du vin. Et puis, s’il y a des rayons X partout, ils doivent voiler les plaques photographiques même à travers les châssis. A-t-on observé que, cette année, il y a eu plus de plaques qui se sont voilées, sans savoir pourquoi? Jusqu’à nouvel ordre, nous devons donc voir dans les mauvais temps en question une simple coïncidence.
Je ne veux pas abuser plus longtemps de votre attention. Vous voyez que si les comètes ne sont pas si terribles qu’on le dit, elles restent, à bien des égards, des astres mystérieux. Leur origine, leur nature, celle de la lumière qu’elles nous envoient, leur destinée, sont encore mal connues; je vous ai dit ce qu’on en savait et vous avez vu qu’on n’en sait pas grand chose.
Time-stamp: " 2.03.2015 10:20"