2-24-1. H. Poincaré to C.-M. Gariel

[18.04.1902]11 1 Cette lettre a été lue par C.-M. Gariel devant la Société française de physique lors de sa réunion du 18 avril 1902.

Mon cher Collègue,

Je ne puis malheureusement assister à la séance de ce soir et je suis obligé de vous prier de vouloir bien présider à ma place. Je le regrette d’autant plus que j’aurais voulu prendre la parole pour rendre hommage à la mémoire du collègue éminent, du savant illustre que nous venons de perdre et qui pour chacun de nous était un ami en même temps qu’un maître.22 2 Alfred Cornu est mort le 12.04.1902.

M. Cornu était assidu à nos séances; il nous a exposé ici même la plupart de ses découvertes et nous ne savions ce que nous devions admirer le plus de l’ingéniosité de son esprit inventif, de la sagacité de sa critique, ou de l’élégante clarté de son exposition.

Il a laissé sa trace dans toutes les parties de la Physique, mais c’est surtout pour l’Optique qu’il avait de la prédilection. Je crois que ce qui l’attirait dans l’étude de la lumière, c’est la perfection relative de cette branche de la Science qui, depuis Fresnel, semble participer à la fois de l’impeccable correction et de la sévère élégance de la Géométrie elle-même. Là il pouvait mieux que partout ailleurs satisfaire pleinement les aspirations naturelles de son esprit épris d’ordre et de clarté.

C’est ainsi que son travail sur la diffraction, et celui où il étudie la réflexion cristalline sont de petits chefs-d’œuvre d’élégance géométrique.

Il en est de même de tout ce qu’il a fait sur les instruments d’optique, sur la lunette zénithonadirale par exemple, et de ses recherches sur les propriétés focales des réseaux.

La méthode de Fizeau pour la mesure de la vitesse de la lumière l’a préoccupé toute sa vie; elle lui a fourni un de ses premiers Mémoires et, au moment de sa mort, il dirigeait encore les expériences qui se poursuivent à Nice sur ce sujet.

Je ne puis songer à énumérer ici tous les travaux de Cornu. Ils sont dans toutes les mémoires et, si je mentionne ses expériences célèbres sur la méthode de Cavendish, et ses recherches sur la gamme, c’est justement parce qu’elles sont tout à fait différentes de celles qui l’occupaient ordinairement et qu’elles font aussi mieux ressortir toute la variété de son talent.

Que ne pouvions-nous pas encore en attendre ? Il est frappé en pleine activité ! Que de travaux interrompus il laisse derrière lui ! Pourquoi sont-ils les meilleurs ceux que la mort frappe ainsi sans attendre ?

Je vous serais obligé, mon cher Collègue, si vous vouliez bien dire à la Société combien je regrette de ne pouvoir être là ce soir, pour exprimer de vive voix la douleur qui me frappe comme elle nous frappe tous.

Veuillez agréer, mon cher Collègue … .

Poincaré

PrTL. Poincaré 1902.

Time-stamp: "19.03.2015 01:56"

Références

  • H. Poincaré (1902) Lettre adressée à M. C.-M. Gariel. Bulletin des séances de la Société française de physique, pp. 32*–33*. External Links: Link Cited by: 2-24-1. H. Poincaré to C.-M. Gariel.