5-2-3. H. Poincaré to Eugénie Launois

[Février 1878]

Avant hier j’ai été chez Darboux je suis fort ennuyé ; je croyais qu’il ne mettrait pas longtemps à la lire, tandis que depuis 3 semaines il n’en a encore vu qu’une partie. De plus il dit que la rédaction ne lui paraît pas encore assez claire et qu’il y aura des retouches à faire, si bien que nous n’aurons que tout juste le temps.

Muse chante en ce jour un beau garçon d’honneur
Les courses dont il doit acheter son bonheur
Les doux yeux de sa belle animent son courage
Il ne l’a jamais vue et pourtant il enrage
À peine midi sonne et sur le boulevard
Il s’élance et de peur d’arriver en retard
Chez Ida qui l’attend il chauffe sa machine
Il trouve en arrivant la plus gentille mine
Chacun le remercie et cherche à s’excuser
Mais d’un objet plus grave il faut bientôt causer
Les fleurs, les gants, voilà les choses principales
Mais Ida me promet d’aplanir sous mes pas
Cette difficulté toute commerciale
On m’explique le tout d’une façon fort claire
Puis le drap, les [sapins ?], les places au repas
On m’explique le tout d’une façon fort claire
Je vais te présenter à ma future mère
Dit Élie, et ce soir à tes yeux étonnés
Apparaîtra Clotilde et ses yeux et son nez
Te feront éclater en cris d’enthousiasme
Mais de peur que l’attente ne se prolonge trop
Ne jette ta pauvre âme en un complet marasme
Regarde, mon ami, regarde sa photo
Que partout maintenant je porte sur mon coeur
Vis-tu jamais, vis-tu minous plus enchanteur
Et j’éclate aussitôt, j’admire et réadmire
Mon rôle me commande un prompt enchantement
Pourtant le doute vient, suspend mon jugement
Dois-je de la beauté lui concéder l’empire ?
C’est douteux ; mais je vais le savoir dans une heure
A trois heures je dois entrer dans sa demeure
Avant de les quitter je vois encore [Chabard ?]
Militaire qui tremble en pensant que son maître
En civil devant tous voudra le faire paraître
Et le faire habiller selon les lois de l’art.
Il semble abasourdi des courses gigonnaires
Que de son lieutenant les ordres fort sévères
Dans ce moment critique, en tous sens dans Paris
Qui fait faire, et cela sans augmenter ses prix.
Or donc je me bichonne et me fais astiquer
Je chausse des souliers qui savent bien craquer
Et j’entre, un salon décoré de tentures
Trois dames dont je vois à peine les figures
Et près d’elles Élie en tenue et sabré.
Drapé dans son dolman et le buste cambré.
J’attends qu’on m’offre un siège et c’est Rinck qui s’en charge
Jouant ainsi d’avance au maître de maison.
Et promenant mes yeux enfin de long en large
Je regarde chacun qui me fait la leçon
Pour m’apprendre comment mardi je dois m’y prendre
Madame Dorvault mère a le nez recourbé
De dame Bettinger. Hélas doit-on s’attendre
Quand l’âge sur sa fille un jour sera tombé
À lui voir au visage un pareil ornement.
Non sans doute et son nez ne semble nullement
Suivre sous ce rapport les lignes maternelles
Elle a les cheveux noirs, d’azur sont ses prunelles
Mais ses traits sont bien ceux que trace son portrait
Sa taille est assez fine et son buste bien fait
Mais elle loin d’avoir le sceptre sans partage
De mes tendres voeux n’aura pas l’apanage.
Elle n’est pas du tout comme dame Boursier
Si son petit visage un peu trop la rappelle
Dans son expression on ne trouve rien d’elle.
Et j’ai gardé le meilleur, je crois, pour le dernier
C’est Madame Daniel ; sur un moelleux sofa
Mollement étendue, en paresseux pacha
Elle semblait n’avoir d’autre pensée en tête
Que d’empêcher voir ses pieds et ses mollets.
Elle est blonde, aux traits fins et ne semble pas bête.
Et surpasse sa soeur de beaucoup ; car ses traits
En [mot ill.] gracieux sont aussi réguliers.
Clotilde semble aimer son bel époux en herbe
Est fière de son sabre et le trouve superbe.
Mais sans doute ces faits ne sont pas singuliers.
Le soir j’allai danser chez Madame Lemoine
Qui reçut de son père un joli patrimoine
Et nous fit profiter de ce don du Seigneur.
Peut-être un peu serrés nous étions par bonheur
Cinq ou six anciens x d’oreille connaissances
Je reprends la prose plus précise pour les détails :
Énumération du public féminin :
1 Deux jeunes dames, gentilles mais un fort :
à savoir une en blanc : 14 1
bleu : 12 0
2 Mlle Lemoine : 7 1
3 Sa soeur mariée 10 1
– Mlle Rabier, blonde, type anglais, très bien faite 17 1
Deux petites filles, l’un en bleu 12 0
L’autre en rose Thérèseguttonoïde 13

AL 4p. Collection particulière, Paris. C091.

Last edit: 28.09.2014