2-9-8. René Blondlot to H. Poincaré

Nancy 23 Janvier 1901

Mon cher ami,

Je rumine un projet d’expérience pour décider si, lorsqu’une masse d’air est mise dans un champ magnétique, il s’y produit ou non un déplacement électrique. Mais avant de tenter cette expérience, je voudrais être bien sûr qu’elle atteindrait son but, et que je ne me fourvoie pas dans la théorie qui m’y conduit : c’est pour cela que j’ai recours à votre obligeance.

Voici le dispositif : deux lames métalliques rectangulaires A & B,11 1 Variante : “[de 1cm de large & de 10 centimètres de haut]”. sont fixées verticalement en regard à la distance de 10 centimètres dans un champ magnétique uniforme parallèle à OY, et d’intensité = 20000 unités C.G.S. Un courant d’air vertical est lancé de bas en haut entre les lames avec une vitesse de 10 mètres/sec ; les lames sont jointes par un fil métallique. D’après Maxwell & Hertz, il se produira dans le diélectrique de ce condensateur un déplacement électrique parallèle à OX ; la force électromotrice d’induction qui le produit est 10×20000×1000=2×108 unit. =2 volts. Il n’y a d’ailleurs pas de force électrostatique, puisque A & B sont au même potentiel.

Maintenant, rompons la communication entre A & B, puis supprimons le champ & le courant d’air ; le déplacement électrique subsiste, puisque le courant ne peut se fermer : il existe donc à ce moment entre A & B une différence de potentiel électrostatique capable de produire ce déplacement, c.à.d. égale à 2 volts. Pour reconnaître cette différence de potentiel, on n’a qu’à introduire entre A & B une feuille d’or portée à un haut potentiel, comme dans l’électromètre de Hankel.

L’expérience pourrait même être rendue quantitative, quoique je craigne les perturbations venant de l’électrisation par le courant d’air des supports isolants nécessaires. Si le phénomène en question existe, l’action magnétique d’un courant de déplacement en résulte nécessairement. De plus, cela déciderait entre Hertz et Lorentz.22 2 Dans les conditions expérimentales décrites par Blondlot (1901), le champ magnétique devait provoquer un courant de déplacement perpendiculaire aux plaques du condensateur, dont la magnitude dépend de l’entraînement de l’éther par la matière en mouvement. Selon la théorie de Hertz (1890) l’entraînement est total, alors que chez Lorentz il est partiel, de telle sorte que l’électrification des surfaces du condensateur est négligeable. Les mesures de Blondlot confirme la théorie de Lorentz sur ce point. A ce propos, voir Whittaker (1951, I, 403).

J’ai tâché d’être tout Maxwellien, & il me semble que les modèles mécaniques s’accordent avec ma théorie. Mais est-ce-que je ne me trompe pas ? Est-ce-que je n’ai pas bâti un Château en Espagne ?

Voilà ce que je vous demande de vouloir bien me dire. Je vous adresse l’expression de mes sentiments d’affection & de dévouement.

R. Blondlot

ALS 3p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: " 9.03.2015 02:24"

Références

  • R. Blondlot (1901) Sur l’absence de déplacement électrique lors du mouvement d’une masse d’air dans un champ magnétique. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 133, pp. 778–781. External Links: Link Cited by: footnote 2.
  • H. Hertz (1890) Über die Grundgleichungen der Elektrodynamik für bewegte Körper. Annalen der Physik und Chemie 41, pp. 369–399. External Links: Link Cited by: footnote 2.
  • E. T. Whittaker (1951) A History of the Theories of Aether and Electricity. T. Nelson, London. Cited by: footnote 2.