2-9-2. René Blondlot to H. Poincaré

Nancy 16 décembre 1891

Cher Monsieur,

Je viens de faire une série d’expériences avec l’aide de M. Dufour, ancien élève de l’École Normale, l’un de nos candidats à l’agrégation.11 1 Marcel Dufour.

Nous avons d’abord constaté de nouveau que la boucle intercalée dans l’un des côtés du circuit est sans influence aucune sur l’internœud : l’expérience a été répétée dans les conditions les plus diverses : la longueur de la boucle a varié de 0 à λ, c’est à dire de 0 à 20,mètres48 avec cette dernière valeur, la longueur du fil entre b et le pont était 32 mètres, tandis que la longueur entre a et le pont était 12 mètres : la figure ci-contre représente les fils à l’échelle de 5 millimètres pour 1 mètre. Malgré cette extrême dissymétrie, la position du pont qui annule l’étincelle du résonateur est la même que quand la boucle n’existe pas : elle est la même pour toute les longueurs que l’on peut donner à la boucle.

Mais si l’internœud observé reste le même, par contre, l’intensité des phénomènes de résonance change beaucoup ; vous avez prévu et vous m’avez annoncé la production de maxima et de minima d’intensité dans les ventres suivant la longueur donnée à la boucle. Nous avons constaté l’existence de ces maxima et minima, qui sont extrêmement nets.

Pour une raison que j’indiquerai plus loin, j’ai pris, pour ces expériences, la longueur totale du circuit, boucle non comprise, égale à un nombre entier de fois la longueur d’onde (2 fois).

Le résonateur étant placé dans le voisinage du pont, voici l’influence de la boucle sur l’étincelle :

longueur de la boucle étincelles
Zéro fortes
λ/2=10,24mètres très faibles
λ=20,48mètres fortes
3λ/2=30,72mètres très faibles.

Voici encore une expérience faite avec un circuit dont la longueur totale, non compris la boucle, était λ=20,mètres48:

longueur de la boucle étincelles
Zéro très fortes
λ/2=10m,24 très faibles

Il me semble que, dans ces expériences, l’adjonction de la boucle agit de deux manières : 1° en introduisant une dissymétrie et par là un intervalle de temps entre les impulsions dues aux ondes parties simultanément de a et de b et se dirigeant vers le pont.

2° en changeant la longueur totale ; une onde une fois lancée le long du fil, de a vers le pont par exemple, doit, ce me semble, continuer à parcourir le fil dans le même sens, jusqu’à ce qu’elle s’éteigne. Si donc le résonateur est placé près du pont, il recevra de la part de cette onde des impulsions électromotrices séparées par des intervalles de temps égaux au temps que l’onde emploie à parcourir une fois le circuit.

Si la longueur totale du circuit, sans la boucle est égale à un nombre entier de fois λ (je suppose la longueur du circuit =λ), les deux effets de l’adjonction de la boucle agissent dans le même sens : par exemple, si la boucle =λ/2, les impulsions dûes à une même onde sont distantes de 3T/2, et par conséquent, tendent à se détruire ; de même, les impulsions dûes aux deux ondes partant respectivement de a et b sont distantes de T/2 et tendent aussi à se détruire. Pour ces deux raisons l’étincelle doit être très faible, et c’est ce que l’on constate. De même pour les autres longueurs de la boucle.

On pourrait se demander lequel de ces deux modes d’action (par dissymétrie ou par longueur totale) l’emporte sur l’autre ; l’expérience suivante répond à cette question : la longueur totale, sans la boucle, étant 3λ/2 on obtient des étincelles fortes ; en adjoignant une boucle =λ/2, les étincelles deviennent très petites : donc l’amélioration dûe à ce que la longueur totale est devenue λ n’est pas comparable à l’effet défavorable dûe à la dissymétrie introduite.22 2 Le manuscrit porte une annotation de main inconnue : “Ceci n’indique-t-il pas que l’onde s’éteint rapidement en se propageant ?”

Je n’ai pas jugé à propos de faire des expériences dans lesquelles la longueur totale du circuit n’eût pas été un nombre exact de fois λ, parce qu’il me semble qu’on obtiendrait ainsi des résultats très complexes, bâtards, à cause de l’action simultanée de la boucle sur la dissymétrie et sur la longueur totale.

Je ne sais si la manière dont je considère ces phénomènes concorde exactement avec la vôtre, je crains même qu’il n’en soit pas tout à fait ainsi, puisque l’amortissement n’entre pas d’une façon apparente dans mon explication ; peut être cependant est-ce la même chose au fond.33 3 Poincaré (1891) prend l’amortissement en considération.

J’attendrai votre avis sur tout ceci avant de rien rédiger. La disposition du micromètre à étincelle du résonateur est bien celle que vous indiquez : l’autre ne fonctionnerait évidemment pas. Merci du conseil que vous me donnez relativement à M. Fizeau ; je ne puis rien introduire à ce sujet dans le mémoire que j’ai donné au Journal de Physique, car il doit être sous presse, mais je ferai la chose d’une autre manière, dussé-je faire un petit article exprès dans le Journal de Physique.44 4 Blondlot 1891. En 1850, Armand Fizeau (1819–1896) et E. Gounelle ont établi la vitesse de propagation des ondes dans les fils. Poincaré (1894, 181) note qu’ils ont obtenu les valeurs de 100000 km/s dans le fer et 180000 km/s dans le cuivre. Je vais écrire en ce sens à M. Fizeau. Je vais aussi écrire à M. Cornu.

Excusez, Cher Monsieur, une si longue lettre, et agréez avec tous mes remerciements l’assurance de mon cordial et entier dévouement.

R. Blondlot

ALS 9p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: "24.08.2014 23:02"

Références

  • R. Blondlot (1891) Détermination expérimentale de la vitesse de propagation des ondes électromagnétiques. Journal de physique théorique et appliquée 10, pp. 549–561. External Links: Link Cited by: footnote 4.
  • H. Poincaré (1891) Sur la résonance multiple des oscillations hertziennes. Archives des sciences physiques et naturelles 25, pp. 609–627. External Links: Link Cited by: footnote 3.
  • H. Poincaré (1894) Les oscillations électriques. Carré et Naud, Paris. External Links: Link Cited by: footnote 4.