2-4-8. Henri Becquerel to H. Poincaré

22 novembre 1897

Mon cher ami,

Voici l’exposé du désaccord dont je t’ai parlé entre Potier et moi.11 1 Alfred Potier.

Tu sais que la Théorie que Fresnel a donné de la polarisation rotatoire consiste en ceci :
Soient 2 rayons circulaires de même période

x1=cos2πtTx2=cos2πtTy1=-sin2πtTy2=sin2πtT

S’il arrive qu’ils prennent au travers d’un corps d’épaisseur e une différence de phase eVT pour l’un et eV′′T pour l’autre, le mouvement résultant

X=x1+x2Y=y1+y2

est rectiligne et l’on a

YX=tgω=tgπeT(1V-1V′′)

Or, dans la note que j’ai publiée dernièrement sur la polarisation rotatoire magnétique, je raisonnais ainsi : si un champ magnétique peut être assimilé à un milieu animé d’un mouvement tourbillonnaire de période θ, droit, par exemple, un rayon circulaire droit y aura une période relative plus grande T telle que 1T=1T-1θ, et un rayon gauche une période T′′ telle que 1T′′=1T+1θ.22 2 Dans une note présentée à l’Académie des sciences de Paris le 08.11.1897, H. Becquerel (1897) trouvait une explication commune à la polarisation magnétique et à l’effet Zeeman, dans un mouvement tourbillonnaire de l’éther. À propos de l’effet Zeeman, voir Zeeman à Poincaré, 24.01.1897 (§2-61-1). Becquerel empruntait une idée de W. Thomson et de Maxwell pour expliquer l’effet Faraday, à propos de laquelle voir O. Knudsen (1976). Les réactions élastiques du milieu qui règlent la grandeur de la vitesse de propagation seront les mêmes que celles qui développent dans le milieu des vibrations de périodes T et T, et les indices pourront être calculés par la formule de dispersion. Mais comme en réalité la période reste la même dans l’espace, ce qui est vérifié par expérience, et qui du reste est une condition essentielle pour que le plan de polarisation résultant ait une position indépendante du temps, j’admettais que tout se passait comme si on avait à faire à deux vibrations dont les vitesses de propagation seraient V et V′′, et la période commune T, de sorte qu’on aurait

ω=πeT(1V-1V′′)=πen-n′′λn=n+Δλdndλn′′=n-ΔλdndλΔλλ=-ΔNN=1/θN=λV0θ}ωπe=2V0θλdndλ

Mr Potier m’écrit alors que l’on doit avoir

ωπe=(1VT-1V′′T′′)=2V0θ(λdndλ-n).

Je lui ai répondu aussitôt qu’il ne tenait pas compte dans son calcul du fait que la période restait la même dans l’espace.

Si en effet on rapporte à deux axes rectangulaires deux mouvements circulaires de périodes T et T′′ on voit de suite qu’on a

YX=tgω=tgπ[(1T′′-1T)t+eVT-eV′′T′′]

Ce plan de polarisation tournerait à gauche d’un mouvement uniforme de période θ.

Pour que le plan soit fixe dans l’espace, il faut supposer que les axes primitivement choisis soient animés d’un mouvement de rotation à droite avec la vitesse angulaire 2π/θ.

Si on rapporte alors les mouvements à des axes fixes, on voit que les angles qui définissent la position du vecteur représentant le mouvement circulaire, sont les mêmes que plus haut, mais tous diminués de 2πt/θ en comptant positivement les angles vers la gauche. J’écrivais alors33 3 Les équations de x2 et y2 ne sont pas homogènes.

x1=cos(-2π(1T+1θ)(t-eV))x2=cos2π(tT′′-1θ)(t-eV′′)y1=sin(-2π(1T+1θ)(t-eV))y2=sin2π(tT′′-1θ)(t-eV′′)

Ce qui ramène la période à être la même et revient à écrire

ωπe=1T(1V-1V′′)

comme je l’avais fait dans ma note.

Mr Potier m’écrit alors une nouvelle lettre, me disant que cet entraînement d’axes revient à une transformation de coordonnées

x1 =x1cosα+y1sinα
y1 =y1cosα-x1sinα

avec α=2πtθ (tu vas voir que c’est là le point).

Ce qui donnerait

x1 =cos2π(t(1T+1θ)-eVT)
y1 =-sin(          )

et non ce que j’ai écrit de sorte que T serait le même mais qu’on aurait

ωπe=1VT-1V′′T′′.

Il ajoute : “Vous supposez en réalité que les axes mobiles tournent de

2πθ(t-eV)

pour l’un et de

2πθ(t-eV′′)

pour l’autre. Pourquoi une vitesse de rotation fonction de e et différente pour les 2 rayons ? Je ne vois pas là le mouvement tourbillonnaire d’ensemble.”

Mais c’est précisément là qu’est la question. D’abord la vitesse de rotation n’est pas différente, c’est sans doute un lapsus de Mr Potier; l’origine du temps est différente, parce que les deux rayons ne séjournent pas le même temps dans le corps; j’en tiens compte dans mes formules, tandis que si on fait la transformation de coordonnées comme Mr Potier, il ne faut pas comme lui, faire commencer la rotation des axes à l’origine des courbes, mais au moment où chaque rayon dont le mouvement arrive ensemble à la sortie du corps, entre dans celui-ci, c’est à dire à l’époque (t-eV) pour le rayon droit et t-eV′′ pour le rayon gauche.

On doit donc retomber sur ma formule. Il me semble que je ne me trompe pas; en tous cas je te soumets la question et te remercie bien d’avance de bien vouloir l’examiner.

Ton vieil ami tout dévoué,

Henri Becquerel

ALS 4p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: "14.07.2018 02:08"

Références

  • H. Becquerel (1897) Sur une interprétation applicable au phénomène de Faraday et au phénomène de Zeeman. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 125 (19), pp. 679–685. External Links: Link Cited by: footnote 2.
  • O. Knudsen (1976) The Faraday Effect and physical theory. Archive for History of Exact Sciences 15, pp. 235–281. Cited by: footnote 2.