5-2-4. H. Poincaré to Eugénie Launois
[22 juillet 1874 ?]
Ma chère maman,
Je viens de sortir de l’infirmerie, mais je ne pourrai pas encore sortir ce soir. J’ai reçu ce matin vos deux lettres à l’infirmerie. J’ai pu un peu y travailler ; j’ai passé mon exam de théorie un peu avant d’y entrer. M. Rinck est venu m’y voir hier. Du reste les événements se pressent très peu ; nous avons reçu lundi notre photo de salle qui n’est pas très bien moi j’ai l’air d’une croûte de pain derrière une malle ; Dreyfuss a une figure complètement effacée sans yeux. La rentrée est pour le moment fixée au 26 octobre pour les anciens et au 19 pour les conscrits.
Mais je crois qu’on sera forcés de gigonner parce qu’on a 135 candidats de plus que l’année dernière. Nous aurions donc très probablement 8 jours au moins pour faire passer ce gigon de candidats en admettant qu’ils soient tous recalés au 1er degré. Je ne sais toujours pas ma note et je ne la saurai probablement que dans huit jours.
La revue était en réalité magnifique. Nous devions d’abord aller aux courses à Auteuil. Nous y allons en bateau jusqu’au Point du Jour. Arrivés là nous apprenons que les courses vont être finies parce qu’elles ont eu lieu une heure plus tôt à cause de la revue. Alors nous nous décidons à aller à Longchamp et nous ne pouvons y aller autrement qu’à pied. Nous voulons d’abord entrer par l’entrée Est ; mais il y a des tas de canons, de caissons, de cavalerie et on ne peut passer ; il nous faut aller rechercher l’entrée Nord tout près du petit moulin à vent que tu dois connaître et où il y a un amphi de types qui doivent être très bien. Du reste les agents de police ne font pas de difficultés pour M. Rinck qui passe sous le couvert de l’uniforme. Au centre se trouve une société composée de 50% d’X, de 25% de piouss, de 20% d’officiers et de 5% de fumistes. Plus tard au beau milieu de la revue, apparaît un fumiste à cheval, Anglais probablement, qui vient se placer juste en face du Mac. Puis il se met à galoper, ayant à ses trousses un cuirassier, ayant lui-même à ses trousses un officier d’état maj. Il pousse ainsi une charge à fond sur le pavillon où on vend des glaces les jours de courses. Enfin on l’arrête et on le fait descendre. Le Mac passe la revue au grand galop et la tête découverte ; au moment où il passe devant les ; on se découvre et on ne se recouvre qu’au moment où le Prussien passe. Puis le défilé commence.
Il est agrémenté d’abord par deux chiens qui suivent leurs maîtres puis par un cheval qui passe entre deux escadrons en lançant des ruades à chaque pas. On dirait qu’il marche sur ses deux pattes de devant. Les Cyrards marchaient comme un seul bloc animé d’une vitesse constante en grandeur, direction et sens ; on aurait dit qu’ils ne bougeaient pas les jambes et qu’on les avait tous collés sur une même planche qui était animée d’un mouvement de translation en vertu d’un mécanisme très chic. Les tilleurs ont aussi été très chics ; un canon ne dépassait jamais l’autre d’un millimètre. Il y avait aussi des chevaux rudement chics.
AL 3p. En-tête de l’École Polytechnique. Collection particulière, 75017 Paris.
Last edit: 8.05.2016