5-2-8. H. Poincaré to Eugénie Launois

[24.11.1873]

Ma bonne maman,

Je voudrais bien savoir d’abord quelle idée tu te fais de ces calomnies. Ta lettre me fait croire que tu supposes qu’on m’a accusé d’être des leurs. Cela ne peut pas être. En effet, ces calomnies n’étaient pas destinées à sortir de la rue des Postes et ce n’est que par une indiscrétion d’un assistant que j’ai appris leur existence. À ce point de vue du reste, ma position est complètement inattaquable, depuis le topo que j’ai fait passer chez les anciens. Aussi je n’ai pas hésité à aller dimanche dernier voir Xardel. Mais je vais te raconter d’abord ma sortie. J’avais donné un rendez-vous à Gille. J’ai été le trouver au Palais Royal à 10 heures et j’y ai dîné avec une clique de St Cyriens de Nancy. En sortant j’ai été voir Xardel avec Gille et je l’ai trouvé avec ses visiteurs habituels. De là j’ai été chez M. Bertin. Je suis monté et il m’a dit qu’il désirait beaucoup faire ma connaissance parce qu’il avait souvent entendu parler de moi par M. Elliot. Je regretterais beaucoup que ce soit la maladresse que nous avons commise aux examens qui vous ait empêché d’aller à l’École Normale. Je lui explique que je ne suis pas entré parce que ce n’était pas l’idée de mon père. Vous comprenez, me dit-il que M. Elliot ne nous avait pas écrit que vous aviez eu le 1er prix l’année dernière. Nous ne savions pas encore que vous l’aviez cette année là. Nous ne le savions que pour Riquier. Du reste c’est moi qui ai commis la maladresse ; je vous ai donné deux points de moins qu’à votre ami Appell. Mais je croyais que c’était l’examen de M. Darbout qui m’avait recalé. Non, vous aviez 19 comme note moyenne en mathématiques. Il m’a dit de plus que M. Elliot aurait la première place vacante à Paris et que M. Couillard serait probablement nommé à la place de M. Bach.

J’ai fait ma paix avec Ruault, voici comment. Dans la dernière lettre que je lui avais écrite, je terminais ainsi : «   Vous étiez une infime minorité et vous avez voulu des alliés. Si tels n’ont pas été tes motifs, répare tes torts en te soumettant à l’autorité de la promotion et tu nous retrouveras comme autrefois prêts à t’aimer et à te prêter le concours mutuel que se doivent tous les X  ». Aussi lorsqu’hier il m’a fait des avances je lui ai répondu en lui rappelant cette  phrase. Je ne me dissimule pas combien cet accord est superficiel puisque je sais qu’il me calomnie par derrière ; mais cela vaut mieux comme cela.

Je vais et je me plais très bien. Continue l’article [mot ill.].

Henri

ALS 2p. Collection particulière, 75017 Paris.

Last edit: 8.05.2016